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LA BAGUE D’ARGENT.

— Mais, dit la baronne d’Espérilles, vous ignorez même la retraite où se cache ce galant homme. Où irez-vous le chercher ?

— Oh ! fit Lucy, à son retour d’Australie, il m’a bien trouvée, moi !

— Ma chère enfant, reprit la baronne, je vous parlerais plus sévèrement, si vous n’aviez point le délire. Je vous montrerai plus tard que tous ces beaux sentimens que vous m’exprimez là dans votre chagrin ne vous conviennent pas. Vous êtes des nôtres à présent. Les femmes comme nous ne doivent s’humilier ni de fait, ni de pensée...

— Madame !...

— Excepté devant Dieu, continua la sainte femme ; mais je vois bien que, dans l’état où vous êtes, toutes les remontrances aujourd’hui seraient inutiles. Il faut vous fciire voir la vérité brutale et toute nue. La voici. M. d’Égligny vous abandonne, ma chère Lucy, parce qu’il a de vous maintenant tout ce qu’il désirait en avoir. Lorsque leurs tristes passions sont satisfaites, les hommes qui lui ressemblent ne ménagent plus rien. Nous nous sommes trompées, ma pauvre enfant ; c’est à un aventurier que nous avons eu affaire...

— Madame, s’écria Lucy frémissante, est-ce là ce que vous appelez la vérité ? Lui un aventurier ! Pour qui donc a-t-il couru les aventures, si ce n’est pour moi, pour m’enrichir, pour me rendre la fortune et la liberté que j’avais perdues ? Ah ! même si je ne l’aimais plus, je devrais encore souhaiter de le revoir pour lui dire : Vous avez bien pu briser mon amour, mais vous n’étoufferez pas ma reconnaissance...

— Toute la question est dans ce que je vais vous dire, interrompit la baronne d’Espérilles. Voulez-vous avouer votre faute ? On vous a pardonné la première, celle qu’on connaissait. Qui croira qu’il s’agisse encore de la même ? qui croira qu’ayant accepté le passé, votre mari ait pu ne pas l’accepter sans réserve et en gardant une pensée de retour sans doute ? Qui croira qu’ayant commencé à marcher dans ce chemin qui était assez rude, un obstacle puéril, une pierre invisible, au premier pas, l’ait fait trébucher et s’enfuir ? Voulez-vous, pour vous justifier, raconter l’histoire de cette bague ?

— Je le veux, dit Lucy.

— A votre aise ! reprit la baronne. Libre à vous d’ajouter le ridicule aux blâmes d’autrefois ! Les croyez-vous donc si bien effacés ? Quant à moi, je vous le dis, la main de la baronne d’Espérilles doit cesser désormais d’être vue en une si pitoyable affaire. Vous voulez donc rester seule au monde ; mais vous ne voyez pas quelle récompense cet homme prépare à votre folie... Allez à lui, vous serez chassée !