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IV. — date des migrations.

L’histoire du groupe des Kingsmill renferme un autre enseignement et nous amène à examiner une dernière question. M. Hale remarque justement que les détails si précis et si simples de cette tradition ne permettent pas de supposer que le peuplement de ces îles remonte à une date fort ancienne. Le chiffre de la population à une époque séparée de nous tout au plus par un siècle d’intervalle conduit au même résultat. L’archipel dont il s’agit est remarquablement fertile. Les Banabéens avaient apporté le taro ; les Samoans y joignirent l’arbre à pain ; l’île par elle-même produisait spontanément le cocotier et le pandanus. Les colons eurent donc des vivres en abondance, et durent se multiplier au moins avec autant de rapidité que les Français l’ont fait en Acadie et au Canada. Or nous voyons nos compatriotes quadrupler en cinquante ans et décupler environ tous les quatre-vingts ans sur cette terre, où un travail incessant assurait seul leur nourriture[1]. En calculant d’après ces données et en admettant que les quatre canots arrivés à Tarawa ne portassent que cent personnes chacun, en supposant encore que la lutte soulevée par les passions des Banabéens ait coûté la vie à la moitié de cette population primitive et l’ait réduite à deux cents âmes, trois siècles environ auraient suffi pour la porter au chiffre constaté par l’expédition américaine. L’immigration aurait eu lieu vers le premier tiers du XVIe siècle[2].

On trouvera peut-être que nous prenons un chiffre trop fort comme point de départ. Supposons-le aussi faible que possible ; admettons, ce qui certainement n’a pas été, que la guerre civile ait réduit à un seul couple les premiers habitans de Tarawa : il n’aurait fallu que huit cent cinquante ans pour faire atteindre à la population son chiffre actuel. Dans cette hypothèse extrême, la colonisation ne daterait encore en définitive que de la fin du Xe siècle. En présence de ces faits et de ces dates, il est impossible de ne pas reconnaître combien est gratuite l’hypothèse de la création des hommes par nation, et combien sont modernes, malgré leur isolement apparent, ces populations dont on voudrait faire remonter l’origine au commencement des choses.

  1. Voyez les chiffres que j’ai cités d’après MM. Rameau et Boudin (Revue des Deux Mondes du 15 mars 1861, Unité de l’espèce humaine). Voyez aussi les détails sur l’Ile Pitcairn, d’où il résulte que les descendans des révoltés de la Bounty avaient triplé en trente et un ans. L’application de ces chiffres est d’autant plus permise ici que les femmes polynésiennes étaient remarquablement fécondes avant l’étrange modification subie par ces peuples depuis leur contact avec les Européens.
  2. M. Hale recule de deux ou trois siècles la date du premier peuplement de ces îles ; mais il ne fait pas connaître les données sur lesquelles il a fondé son calcul.