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reste l’écho des idées de sir William Hamilton et de cette philosophie écossaise qu’on pourrait nommer la philosophie du bon sens, doctrine sage, prudente, pratique, mais sans ampleur ni puissance. L’enseignement théologique d’Oxford est, de l’aveu des juges les plus compétens, réduit à de mesquines proportions, et pourtant Oxford est le foyer de la religion anglicane, l’école d’où sortent la plupart de ses pasteurs et de ses évêques ; mais n’y a-t-il pas dans ce seul mot « religion anglicane » quelque chose de blessant pour un esprit philosophique ? On comprend la haute ambition d’une église qui se prétend l’unique dépositaire de la vérité et qui aspire à la répandre sur le monde entier : toute religion qui se croit vraie doit viser à une telle destinée, tenter de devenir universelle. Quant à des prétentions bornées qui identifient la foi avec l’histoire, avec la géographie, avec les convenances du temps et de l’espace, si elles ne cachent pas un certain fonds de scepticisme, elles trahissent visiblement je ne sais quelle infirmité de la pensée, quelle impuissance native à se dégager des chaînes de la réalité et à suivre le libre élan d’une logique hardie.

Dans le domaine des sciences, l’Angleterre compte, qui ne le sait ? les noms les plus glorieux ; mais là surtout s’affirme et s’étale le dédain des théories, des vues spéculatives, des hypothèses. Rarement l’esprit d’observation consent à se laisser guider par des inductions préconçues ou à subir une forte initiation mathématique. L’expérience est la seule règle des ingénieurs anglais ; ils font fi des formules, et pour justifier leur pratique montrent les œuvres prodigieuses dont ils ont couvert et l’Angleterre et le monde entier. Les médecins sont pour la plupart des empiriques ; ils donnent peu de temps à la controverse et ne se séparent pas en écoles philosophiques pareilles à nos écoles de Paris et de Montpellier. Dans les œuvres purement littéraires, on ne rencontre que rarement la trace d’une pensée, d’une doctrine philosophique. Carlyle, qui jadis avait sacrifié aux dieux de l’Allemagne, ne professe aujourd’hui que le culte de la force et a tourné le dos à la critique pour se vouer tout entier à l’histoire, qui oblige son génie bizarre à se plier aux dates et aux faits. M. Mill a fait passer dans les sciences politiques quelques-unes des vues de la philosophie positive ; mais ses beaux ouvrages, inspirés par de généreux sentimens, ne transportent pas souvent l’esprit hors des intérêts directs et immédiats de l’humanité.

Partout donc où l’on regarde en Angleterre, on observe une tendance manifeste à ne saisir que le relatif, le concret, à écarter ce qui est général, systématique, absolu. Or quelle tendance pourrait être plus contraire au développement de la philosophie ? L’absolu