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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/939

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talent, la fertilité d’esprit, la variété presque encyclopédique de connaissances dont ses écrits fournissent la preuve, M. Spencer, s’il eût consenti à suivre les routes battues, aurait facilement obtenu tous ces dons que la société anglaise prodigue à ceux qui la servent comme elle veut être servie. Il a préféré se condamner à la pauvreté, et, ce qui est encore plus difficile, à l’obscurité. Cette abnégation a quelque chose de fier et de touchant ; mais M. Spencer mérite mieux que de vaines marques de sympathie : il ne faut pas seulement admirer sa fidélité à des études sans profit ; son œuvre mérite par elle-même d’attirer l’attention de tous les amis de la philosophie. Elle a quelque chose de grand, d’audacieux : le cadre choisi par M. Herbert Spencer est le plus vaste qui se puisse concevoir. Il embrasse toutes les sciences en même temps que toute la métaphysique ; Qu’on en juge par le programme qu’il faisait connaître au mois de mars 1860. Il annonçait à cette époque la publication d’un système de philosophie qui devait comprendre les parties suivantes : les Premiers Principes en un volume, — les Principes de biologie (ou science de la vie) en deux volumes, — les Principes de la psychologie en deux volumes, — les Principes de la sociologie en deux volumes, — les Principes de la morale en deux volumes. Ce vaste programme, on le croira sans peine, n’est pas encore rempli, et l’on peut douter que M. Spencer puisse achever avant longtemps la tâche qu’il s’est imposée, si toutes les parties doivent être aussi volumineuses que les Premiers Principes, la seule qui ait aujourd’hui paru et dont il y ait à s’occuper. Il est permis en effet de considérer ce premier volume comme l’expression la plus générale, comme le résumé des idées de l’auteur ; les parties suivantes ne peuvent en être que des applications. (Les Premiers Principes embrassent tout l’objet de la philosophie, l’esprit et la matière, le monde inanimé comme le monde pensant ; c’est une construction ambitieuse qui a sa base sur la terre et qui monte jusqu’aux cieux : on s’y élève à des hauteurs d’où les événemens de l’histoire ne tiennent pas plus de place que les rêveries d’une imagination solitaire. M. Spencer nous fait assister à la naissance et à la ruine des mondes et des systèmes solaires, à l’apparition et aux métamorphoses de la vie comme au retour des êtres dans l’abîme inorganique, à la formation des sociétés humaines comme à leur décomposition, à toutes les phases enfin de ce développement qui entraîne et déroule irrésistiblement toutes choses à travers l’infini du temps et l’infini de l’espace. Aux sommets de la métaphysique, les objets perdent leurs couleurs, leurs propriétés éphémère et jusqu’à leurs contours ; la pensée reste en face de pures abstractions, la force, le mouvement, la substance, abstractions qu’elle est impuissante à