Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée et tout l’homme ! C’est à cela que ne pourraient survivre les nobles ambitions, l’amour du beau, le respect de la justice, les visions de l’éternel, de l’absolu, de l’infini ! Ce n’est pas assez encore que la vie nous échappe aussitôt que se décomposent les frêles organismes que la nature ne soutient que pendant quelque temps ; ce n’est pas assez que les formes si chères, les traits adorés, que tout ce que nous aimons s’évanouisse dans un abîme sans nom, sans mouvement, sans limites !… L’esprit non plus que la vie ne saurait-il survivre à cet organe blême qu’une décomposition hideuse détruit avec tant de rapidité ? Et l’homme serait-il puni de la hauteur de ses pensées par leur fatale brièveté ?…

Si la science positive n’a rien à nous apprendre sur ces redoutables problèmes, sera-t-elle plus capable de plier à ses formules ces forces sociales qui sont comme l’âme même de l’humanité ? M. Spencer, entraîné par sa théorie, les fait rentrer sans hésitation ; comme les forces mentales propres à l’individu, dans le cadre de ses ambitieuses généralisations. L’histoire des sociétés humaines, aussi bien que l’histoire de chaque homme, lui apparaît comme la simple métamorphose de la force universelle. Il les croit soumises à des lois aussi rigoureuses que celles qui régissent le monde matériel plus obscures seulement et plus difficiles à découvrir sous la complexité presque infinie des phénomènes. Il est plus aisé peut-être de deviner les lois de la sociologie que celles de la psychologie ; l’activité individuelle est une force plus inconstante, plus variable en ses allures que l’activité lente et mesurée des nations. Parmi les penseurs les moins portés à soumettre à une analyse scientifique les ressorts de la spontanéité humaine, combien en trouvera-t-on qui refuseront de chercher des lois dans l’histoire ? La critique nous montre certaines races dépositaires de certaines idées et les conservant à travers les âges comme leur patrimoine exclusif ; elle observe la stabilité des traditions, l’obstination des haines et des passions nationales ; elle nous fait voir les hommes passant les uns après les autres, comme les grains de sable qui forment les alluvions, et entraînés dans d’irrésistibles courans vers un avenir inconnu. On ne saurait se dissimuler qu’il s’opère un rapprochement entre les sciences naturelles et les sciences historiques, en même temps qu’entre les sciences naturelles et la philosophie. Qui ne voit pourtant que le jour où ces rapprochemens peuvent être féconds est bien éloigné encore ? Bornons-nous donc à interroger la science positive sur ces forces matérielles que nous connaissons plus directement, et dont les effets nous sont devenus le plus familiers.

Quelle est la loi générale qui règle les innombrables manifestations des forces matérielles ? Toute loi suppose la constance dans les