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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/132

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L’arrivée de la tante Maria mit seule un terme à cette conférence amicale où venait d’être conclu, à la satisfaction mutuelle des deux parties, un arrangement digne de Platon lui-même.

Deux minutes après qu’Austin fut parti, Eleanor courut s’enfermer dans sa chambre pour pleurer tout à son aise, la tête enfouie parmi ses oreillers. Elle maudissait le jour de sa naissance, la rencontre fortuite d’Austin et de miss Cecil, la nécessité de survivre à cette rencontre, et s’en prenait à toute la terre, si ce n’est à Austin lui-même… On voit qu’elle était éminemment satisfaite.

De son côté, Austin, à peine rentré dans Londres, courut chez lord Charles Barty, dont il avait appris le retour, et avec lequel il partit en poste pour la petite ville de Bangor, où ils allaient préparer ensemble, — sous la direction d’un professeur spécial et avec une demi-douzaine de leurs condisciples, — leurs derniers examens universitaires. Pendant plus de huit jours, morose, farouche et sombre, on ne put tirer de lui ni une plaisanterie ni une parole raisonnable : d’où l’on peut conclure, ce nous semble, qu’il était également très satisfait des résultats de son entrevue avec miss Hilton.


VI

Lord Charles Barty appartenait à une grande famille whig ; Austin était le fils d’un tory de l’ancienne école. Son père n’avait rien oublié, nous l’avons dit, pour lui infiltrer dès l’âge le plus tendre les principes dont lui-même était imbu, travail presque sacrilège à notre avis, et qui fut cette fois singulièrement rétribué. De par cet esprit de contradiction, de rébellion instinctive qui est si naturel aux enfans, Austin prit en horreur les grands hommes qu’on lui vantait sans cesse, les théories dont on lui rebattait les oreilles. Une fois à Eton, Charles Barty, qui n’avait pas, à beaucoup près, la même dose d’intelligence, mais qui recueillait avec assez de discernement les propos tenus à la table de son père, fournit à son camarade les argumens plus ou moins sérieux qui pouvaient servir de réfutation aux doctrines de James Elliot. La controverse, une fois établie, alla toujours s’aggravant, et parfaitement unis d’ailleurs, les deux Elliot, père et fils, se trouvèrent à la longue en parfait dissentiment politique. Comme beaucoup d’autres jeunes gens, — je parle de ceux qui étaient jeunes en 1844, — lord Charles et son ami, tous deux whigs ardens, d’une nuance confinant au radicalisme, s’étaient rangés sous la bannière de sir Robert Peel. Ils devinaient en lui, sous les dehors du torysme, un révolutionnaire actif et résolu. Toutefois, malgré le scandale que causaient à l’université leurs théories subversives, il leur manquait, pour être de purs radicaux, — des radicaux bleus, comme on les appelle, — de pousser à