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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/1030

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ses frères savaient mieux que personne ce qui convenait à son service, que dans de pareils temps la patrie était là où est l’honneur. La royauté, qui à bout de ressources devait placer son dernier espoir dans l’émigration, en avait d’abord compris tout le danger. La reine souffrait plus que personne de la légèreté de cette noblesse imprévoyante qui émigrait par mode, et comme pour une partie de plaisir. Les fugitifs se faisaient au début les illusions les plus étranges ; M. de Metternich a raconté qu’il leur entendait dire à tous : « Il y en a pour quinze jours. » Pendant ce temps, la reine écrivait : « Les frères du roi sont entourés d’ambitieux et de brouillons qui ne peuvent que nous perdre après s’être perdus eux-mêmes, car ils ne veulent pas écouter ceux qui ont notre confiance sous prétexte qu’ils n’ont pas la leur, et les émigrans armés sont ce qu’il y a de plus triste en ce moment. »

Autant l’infortunée reine était affligée de la conduite des émigrés, autant elle était reconnaissante de l’abnégation héroïque de Mme de Lamballe. « Quel bonheur que d’être aimée pour soi-même ! lui écrivait-elle dans un élan de gratitude. Votre attachement avec celui de quelques amis fait ma force. Non, ne le croyez pas, je ne manquerai pas de courage. Mon cœur est à vous jusqu’à mon dernier souffle de vie. » Plus le dénoûment approche, plus ces deux femmes, exaltées par les épreuves et sanctifiées par l’adversité, montrent d’élévation de sentimens et de fermeté de caractère. Marie-Antoinette écrit au comte de Mercy-Argenteau : « Jamais je ne consentirai à rien d’indigne de moi. C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est. » La princesse de Lamballe dit à Mme de La Rochejaquelein : « Plus le danger augmente, plus je me sens de force. Je suis prête à mourir. Je ne crains rien. » Le 20 juin, quand la foule envahit les Tuileries, quand la reine veut se précipiter au-devant des piques en s’écriant : « Ma place est auprès du roi, » une voix lui dit avec douceur : « Votre place est auprès de vos enfans. » Cette voix, c’est celle de Mme de Lamballe. Cette fidèle servante de l’infortune s’associe à toutes les angoisses de l’agonie de la royauté. Elle suit la famille royale au Temple. Elle ne la quitte que pour être jetée dans la prison de la Force, où l’attendent les bourreaux. Ils lui ordonnent de jurer la liberté, l’égalité, la haine du roi, de la reine et de la royauté. « Je jurerai facilement les deux premiers sermens, dit-elle ; je ne puis jurer le dernier, il n’est pas dans mon cœur. » Un assistant lui dit tout bas : « Jurez donc ! Si vous ne jurez pas, vous êtes morte. » Elle ne répond rien, lève ses deux mains à la hauteur de ses yeux, et fait un pas vers le guichet. Une voix crie : « Qu’on élargisse madame ! , Cette phrase est le signal de la mort.

La princesse de Lamballe et Charlotte Corday se ressemblent par l’esprit de sacrifice et d’abnégation. Toutes deux se sont dévouées, l’une à la reine, l’autre à la patrie. Si Mme de Lamballe est venue volontairement se jeter dans le gouffre qui devait la dévorer, Charlotte Corday, parée comme Judith « de la merveilleuse beauté dont le Seigneur lui avait fait présent, »