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travaux de sa vie, il ne cesse pas d’en préférer la perfection compliquée à la grossière simplicité de l’absolutisme dictatorial ou démocratique, et quoiqu’il voie son récit aboutir aux plus tristes disgrâces pour le gouvernement parlementaire, il persiste à le regarder comme le terme vers lequel gravitent toutes les sociétés modernes. Pas plus que lui, nous ne désespérons de la liberté politique ; nous allons plus loin, et nous voyons dans notre histoire contemporaine autre chose qu’un long sujet de deuil. Oui, sans doute, la France a eu du malheur. Que de mécomptes et de revers en moins d’un siècle ! Après la mort de Louis XV et celle de Voltaire, le prince que les fautes de l’un avaient averti, le peuple qui se croyait éclairé par les écrits de l’autre, ont pu penser qu’ils marchaient vers un riant et bel avenir. Louis XVI s’est entendu un jour appeler le restaurateur de la liberté française ; le peuple a un moment rêvé qu’en retrouvant ses droits, il avait assuré son bonheur. Quel affreux réveil que celui des hommes de 89 voyant leur ouvrage se souiller et se perdre dans l’opprobre des jours de démence de 93 ! Ceux mêmes qui n’avaient pas fui devant les maux et les crimes, ceux qui avaient fait aux furies du patriotisme le sacrifice de la justice et de l’humanité, lorsqu’ils ont pu imaginer qu’une république un peu réglée, un peu tranquille, sortirait de l’orage et que leurs efforts n’auraient pas été tout à fait stériles, ils n’ont pas tardé à voir leur monument chanceler sur sa base fragile, et disparaître balayé par le bras d’un soldat heureux, mais au moins ce jeune homme entouré de tant de prestige, la glorieuse idole d’une nation guerrière, il va réaliser toutes les espérances qu’il conçoit et qu’il inspire. La victoire a divulgué son génie. 1 peine a-t-il touché le pouvoir qu’il se montre fait pour l’exercer. Fondateur, législateur, organisateur, il est tout aussi bien que capitaine ; tout en lui promet au pays une grandeur incomparable. Cependant on peut déjà dans le consul entrevoir l’empereur, l’homme fait pour tout dominer excepté lui-même. On peut discerner dans cet ardent et impétueux esprit cette impatience de l’obstacle, cette colère contre la résistance, ces passions enfin plus grandes encore que sa fortune. On compare Napoléon à César ; voilà les fautes que César ne commettait pas. De là tout au moins une grande différence : César a réussi, Napoléon a échoué. Il n’est pas mort dans la puissance ; il est tombé deux fois, et deux fois il a laissé la France plus petite qu’il ne l’avait reçue. Quelle fin plus cruelle, et de nos calamités laquelle a été plus grande ?

À ces fléaux de la guerre succède le bienfait de la paix que va suivre le bienfait de la liberté. En peu d’années, une prospérité inconnue manifeste l’excellence de la société civile que la révolution