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constitutionnelle, pense que « le fondateur d’un grand gouvernement ne saurait vouloir ériger le trône d’une dynastie sur un ponton rasé, » et que la politique de nivellement a suffisamment accompli son travail. Si l’ancienne royauté française l’a si longtemps suivie, c’est qu’alors les obstacles venaient d’en haut ; du moment qu’il n’y a plus ni castes ni privilèges, il n’y a plus lieu d’abaisser, et quand les périls viennent d’en bas, c’est plutôt de relever qu’il doit être question. C’est donc à la liberté qu’il appartient d’organiser la démocratie : seule, la liberté peut la préserver de l’aplatissement et de la brutalité qui accompagnent la satisfaction exclusive des besoins matériels ; seule, combattant l’égoïste préoccupation des intérêts privés et agrandissant la pensée de chacun par la pensée publique, elle réveillera dans tous les hommes les sentimens de responsabilité et de solidarité morale sans lesquels il n’y a pas plus d’honneur pour les citoyens que de vie durable pour les nations.

Il est évident que ce dernier système est le seul qui puisse offrir à l’empire aussi bien qu’à toute autre forme de gouvernement les conditions de force et de durée que toute société réclame. Qu’y aurait-il donc aujourd’hui à faire pour atteindre ce but définitif ? Rien de nouveau, dit M. de Carné ; suivre seulement le chemin déjà ouvert par le décret du 24 novembre 1860, l’élargir, y appeler le mouvement avec la sécurité. Cet acte additionnel à la constitution de 1852, aussi habile qu’opportun, n’a pas été, ajoute l’auteur, bien compris en son temps par le public. Il serait né, selon lui, de la question d’Italie, qui, à la fin de 1860, semblait toucher à une crise décisive. Soit que le cabinet de Turin, exalté par les succès de l’année précédente, se jetât sur la Vénétie, ou que le torrent l’entraînât vers Rome, la France était menacée d’en recevoir le contre-coup, — au dehors, s’il s’agissait de l’Autriche, — au dedans, si la question romaine surexcitait les inquiétudes religieuses. De nouvelles responsabilités allaient donc peser sur le gouvernement français ; il devenait nécessaire qu’il en partageât la charge trop lourde et qu’il « substituât aux soudainetés périlleuses d’une initiative solitaire un système de débats approfondis et de concessions mutuelles. » Cela peut être ; cependant M. de Carné n’aurait-il pas dû ici, pour rendre pleine justice à cet acte, en faire honneur aussi à l’esprit de la constitution, qui a reçu de la prévoyance de son auteur la faculté de s’assouplir ou de se dilater selon le besoin ou l’opportunité des circonstances ? Quoi qu’on puisse penser de cette création de 1852 et des vues qui l’avaient inspirée au lendemain d’un coup d’état, ce ne lui était pas un mérite ordinaire que d’avoir répudié les prétentions absolues et immuables de nos constitutions et chartes antérieures, de s’être donnée non comme parfaite, mais comme perfectible, d’avoir ainsi rompu avec les théories de métaphysique politique et les créations à priori qui furent la faute originelle et si funeste de la révolution française. Sans doute les développemens n’arrivent qu’à l’occasion de telle ou telle circonstance, mais il ne