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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/41

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devenaient impraticables. La seconde route se dirigeait à l’ouest, entre la mer et le lac Maréotide, jusqu’à son extrémité, puis, tournant au midi, gravissait, à travers les sables, le contre-fort qui séparait de la vallée de Nitrie celle du Fleuve-sans-Eau. Cette route passait par un pays désolé, qui n’offrait au voyageur ni une goutte d’eau ni un brin de verdure. L’aventureuse Mélanie avait voulu la suivre pendant sa tournée en Égypte : elle faillit d’abord être enlevée avec Rufin par une bande d’Arabes embusqués près de la mer, et ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval ; puis son escorte, mal fournie de vivres et peut-être égarée, fut sur le point de mourir de faim et de soif ; il fallut qu’elle lui abandonnât ses provisions au risque d’en manquer elle-même. La troisième route enfin remontait le Nil jusqu’à Memphis ou Arsinoé, et débouchait de là dans l’une ou l’autre vallée, en les prenant à leur origine ; mais on rencontrait du côté de Nitrie des flaques d’eau profondes laissées par les inondations du Nil et remplies d’animaux malfaisans. Mélanie, qui se hasarda aussi sur cette route, en éprouva les rudes inconvéniens. Une fois qu’elle traversait un de ces petits lacs mobiles, où se jouaient parmi les fleurs et les plantes aquatiques une multitude d’animaux de toute espèce, et qu’elle se récriait sur la beauté du site, sa voix réveilla des crocodiles monstrueux endormis sous des touffes de joncs, et qui accoururent vers elle la gueule béante. Elle était perdue, sans le dévouement des Égyptiens qui l’accompagnaient et sans un secours inespéré, celui de Macaire, le fameux anachorète, qui habitait sur un rocher voisin et arriva à temps pour la délivrer. Jérôme, qui avait à répondre d’une femme et de tout un troupeau de jeunes filles, n’osa affronter ni les crocodiles ni les Bédouins : il choisit la route par le lac Maréotide, comme la plus directe et la plus sûre.

La traversée fut bonne, mais avec le trajet de terre commencèrent les tribulations. Une brume épaisse et fortement salée, qui remplissait le vallon pendant la nuit, semblait se solidifier au lever du soleil, et retombait en petits cristaux comparables à du grésil. On marchait sur des aiguilles de nitre et des espèces de glaçons à pointes aiguës qui entraient dans le sabot des chevaux et perçaient la chaussure des guides. Nos voyageurs pénétrèrent bientôt dans des marécages, les uns profonds à s’y perdre, hommes et bêtes, les autres pestilentiels dès que cette boue infecte se trouvait remuée, de sorte qu’on y courait le double risque d’être englouti ou suffoqué. Il leur fallut bien du courage ; mais la vue de la montagne de Nitrie, qu’ils avaient en perspective, soutenait leur force et les ranimait. Placée à peu près à mi-chemin entre Alexandrie et Memphis et détachée de la chaîne libyque, elle dominait toute la vallée. On apercevait de loin l’église qui couronnait son sommet, les cinquante