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agitation toute légale et pacifique sous Granvelle ; elle finit par la guerre à l’apparition du système personnifié dans le duc d’Albe. Celui qui à un certain moment aurait pu être le chef de la résistance des Pays-Bas, ou du moins disputer le premier rôle, avait péri avant la guerre : c’était le comte d’Egmont. De tous ces seigneurs de Flandre et de Hollande, il était le plus brillant, le plus populaire ; son nom avait l’éclat guerrier des batailles de Saint-Quentin et de Gravelines, gagnées par son impétueuse vaillance. Il était le héros de mille légendes et l’orgueil de ses compatriotes ; mais il s’usait, je l’ai dit, dans les anxiétés d’un rôle impossible, aussi peu fait pour diriger les autres que pour se diriger lui-même ; il était aussi indécis, aussi mobile d’esprit qu’intrépide de cœur, et il avait mérité que le peuple, cherchant un guide, dît d’un instinct sûr : « les actions d’Egmont, les conseils d’Orange ! » Le comte d’Egmont était une âme féodale et chevaleresque : le duc d’Albe le brisa du premier coup de sa main de fer, sans lui laisser même le temps de se reconnaître. Guillaume d’Orange, l’homme aux conseils, était une âme plus essentiellement moderne : c’était une force nouvelle inconnue du dictateur des Pays-Bas, et qui se levait lentement devant lui pour l’arrêter. D’Egmont est, si l’on veut, le héros inquiet, impatient et malheureux des premiers temps de l’agitation flamande, de la fronde contre Granvelle. Celui qui apparaît comme le vrai représentant de la résistance nationale, comme l’antagoniste corps à corps, génie à génie, du duc d’Albe, c’est Guillaume de Nassau, prince d’Orange. Et d’abord il avait été assez habile pour ne pas attendre à Bruxelles ou à Anvers le coup dont il se savait menacé avec tous ses compagnons.

Tout se réunissait en lui pour en faire le héros politique d’une des plus prodigieuses et des plus difficiles entreprises. Il avait trente ans à peine. C’était un homme aux traits réguliers et prononcés, au teint plutôt espagnol que flamand ou allemand, au front large et élevé déjà sillonné de rides, aux yeux grands, noirs et réfléchis. Par son origine et ses possessions, qui étaient immenses, il tenait à la fois aux Pays-Bas et à l’empire ; par son titre de prince souverain du petit état d’Orange en France, il avait une situation exceptionnelle, et il avait même le droit de lever des troupes. Par sa fortune, il brillait au premier rang de cette noblesse flamande, éblouissante de luxe et de prodigalités fastueuses. Par son éducation, il avait été initié aux plus grandes affaires auprès de Charles-Quint, qui l’avait pris d’abord comme page et l’avait élevé aux plus hautes charges, lui confiant tout, l’admettant à ses délibérations les plus intimes. Une maturité précoce en lui attirait sinon l’enthousiasme prompt et facile, du moins la confiance. Ceux qui aiment