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dinaires de la tablature vont vous le dire en quatre mots. C’est la chose du monde la plus simple et la plus connue : un unisson de tous les instrumens à cordes appuyés de deux bassons ; les violons attaquent le chant sur le grave, les altos sur la troisième corde, et les violoncelles à l’aigu ; les instrumens de diapason diffèrent, au lieu de chanter à l’octave, ramassent au même plan toutes leurs forces. — Vous le voyez, il suffisait d’ouvrir son codex de conservatoire. Quelle criante injustice pourtant et quelle détestable ironie du sort que lorsque tant de pauvres diables voués à l’obscurité connaissent de semblables formules, il n’y ait que les hommes de génie qui en profitent, ces odieux accapareurs ! L’expression de cet incomparable exorde est ce qu’on peut entendre de plus navrant. En même temps que l’oreille est éblouie, le cœur se brise ; cela chante la mort sur un ton de fête, c’est triomphal comme une fanfare, âpre et strident comme la douleur, implacable comme Vénus. Qu’importe le pays, l’héroïne ? l’art a parlé, il veut, et, consacrée par ces seize mesures d’une sublime symphonie, la légende d’une pauvre reine de sauvages vaut l’épopée d’Ariane, de Phèdre, de Didon ! Le solennel fait bientôt placé aux douces élégies de la mourante, les fureurs sont apaisées, l’agonie commence. Sélika poursuit de son pardon le navire qui s’éloigne. Cette atmosphère vénéneuse qu’elle absorbe à longs traits, ces fleurs qu’elle arrache par grappes et respire la pénètrent de leurs influences ; ivresse charmante, extase suprême d’amour dont une phrase idéale du violoncelle, trois fois répétée et chaque fois plus haute, marque les périodes ; hymne de volupté dans l’immolation, dont un chœur aérien commente le délire et que toutes les harpes accompagnent. Ce dénoûment n’est pas seulement d’un grand musicien, mais aussi d’un poète. Schubert et Goethe s’y donnent la main, le Schubert de la mélodie du Roi des aulnes, le Goethe orientaliste de la ballade du Dieu et la Bayadère.

En présence d’une pareille scène, on comprend, on approuve les éternelles tergiversations de Meyerbeer. Où trouver en effet l’interprète de ce rôle ? Comment découvrir dans un même sujet, avec cette complexion poétique d’une Malibran par exemple, la vigueur de tempérament nécessaire pour tout le reste du rôle ? Ce personnage de Sélika, s’il est le résumé des principales créations du maître, est bien plus encore peut-être un résumé des cantatrices qui depuis vingt ans se sont succédé à l’Opéra et ailleurs. L’abeille fait son miel de toutes fleurs. De chaque voix qu’il entendait, de chaque talent qui passait devant ses yeux, Meyerbeer savait extraire le meilleur, l’essentiel. Comme Don Juan, qui la narine au vent s’écrie : « senti odor di femina ! » vous flairez au passage, en écoutant cette musique, certaines individualités dont la trace a