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ascensionnellement ; mais pourquoi vouloir classer, étiqueter ? Qu’importent au public nos préférences ? « N’est pas beau ce qui est beau, dit un proverbe italien, mais seulement ce qui plaît. » Sans accepter dans toute sa latitude cette esthétique de casuiste, je ne la crois pas de nature à mettre en péril les droits du génie, attendu que ce qui est beau finit toujours par plaire. Les envieux s’agitent, les impuissans profitent de l’occasion pour catéchiser le troupeau des imbéciles, et ni les uns ni les autres ne veulent comprendre que ce qu’ils disent là à propos de l’Africaine s’est dit jadis à propos de l’Armide de Gluck, des Noces de Figaro et du Don Juan de Mozart, du Freyschütz, d’Euryanthe, du Barbier même de Rossini, sifflé à Rome, et de son Otello, que Stendhal jugeait trop allemand. Que n’a-t-on pas écrit dans le temps sur la partition de Robert le Diable, à laquelle on reprochait également de durer sept heures, et que les critiques d’alors appelaient une interminable encyclopédie musicale, un pot-pourri de tous les styles, un panorama de toutes les fantasmagories ! « On ne va point entendre un opéra de Meyerbeer, on va le voir ! » s’écrie un esthéticien d’outre-Rhin, M. Carrière, ajoutant, non sans quelque naïveté, que dans ce mot terrible est contenue la meilleure sentence du public à l’endroit de cette mélopée spectaculeuse ! Les Allemands sont impitoyables, ils ne pardonneront jamais à Meyerbeer d’avoir pris en France le point d’appui de sa renommée, de les avoir voulu conquérir de chez nous, pas plus qu’ils ne pardonnèrent à la Schroeder-Devrient ses excursions dans le répertoire italien. Elle était sublime jouant, chantant Fidelio ; elle avait l’esprit, le physique du rôle : son gracieux visage, sa taille divinement tournée, semblaient faits à souhait pour le travestissement ; mais voulait-elle d’aventure jouer, chanter le Roméo de Bellini, la déchéance était complète ; plus de voix, de talent, les habits d’homme ne seyaient même plus à sa taille. A l’égard de Meyerbeer, l’animosité devient quelquefois si féroce que vraiment c’est à n’y pas croire. On fait litière des Huguenots, du Prophète, et pour glorifier quels masques, justes dieux !

Non raggionam di lei, ma passa e guarda.

On reproche à Meyerbeer ses accouplemens monstrueux d’instrumens, ses ophicléides, ses bombardes, toute cette artillerie de gros calibre qui se contentait jadis de pousser le son, et qu’il fait évoluer constamment par toutes les directions de l’échelle chromatique, et en même temps on s’émerveille sur ce caractère de grandeur et de magnificence dont sa musique porte l’empreinte. Et ceux qui réprouvent le plus les moyens acclament l’effet. Cependant, pour être un grand coloriste, il faut employer des couleurs, je suppose, et les couleurs en musique, ce sont les sonorités. Du jeu des tim-