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LE MEURTRIER
D'ALBERTINE RENOUF


I

Il y a quelques années, un jeune homme, Isidore Renouf, qui avait fait son droit à Paris, acheta une charge de notaire dans une petite ville de province. Il se maria presque aussitôt, son prédécesseur, en lui cédant son étude, ayant eu soin de lui trouver une femme. Le vieux notaire s’était fort applaudi de ce mariage. Il avait donné en effet à son jeune ami la fille d’une vieille dame qu’il connaissait depuis longtemps, et qui s’était fixée tout récemment en province après la mort de son mari. Albertine Segonat avait dix-huit ans, une jolie dot et de grands yeux noirs ; elle était d’un caractère énergique et tendre, et se fit promptement aimer d’Isidore. A peine mariés, les jeunes gens s’accordèrent huit jours de vacances, et vinrent commencer leur lune de miel à Paris, Isidore crut remarquer cependant qu’Albertine aurait désiré reculer ce voyage. Paris lui causait comme un vague effroi qu’elle mit sur le compte de souvenirs pénibles : c’était à Paris qu’elle avait perdu son père. Cette mauvaise disposition s’effaça bientôt dans les plaisirs. Deux ou trois fois seulement, dans la rue ou au théâtre, Albertine, d’un mouvement involontaire, serra le bras de son mari, comme si quelque chose l’eût tout à coup effrayée. Isidore l’interrogea, mais elle se contenta de sourire avec mélancolie. C’était un sentiment douloureux qui se réveillait sans doute, rien de plus.

Isidore, qui avait presque toujours vécu au pays latin, avait installé sa jeune femme dans l’hôtel garni qu’il occupait autrefois ; mais il avait choisi la plus belle chambre du premier étage, d’où l’on apercevait par les fenêtres le jardin du Luxembourg. Les jeunes