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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/466

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— Et avant, à Paris, avait-elle quelque homme d’affaires ?

— Je l’ignore.

— Où demeurait-elle à Paris ?

— Rue Chapon, au Marais.

— Je vous remercie. Ayez soin de l’étude et des intérêts de M. Renouf. Tout n’est peut-être pas désespéré pour lui.

M. Gestral revint aussitôt à Paris et alla rue Chapon. Ce qu’il y apprit fut insignifiant. M. Segonat vivait très retiré avec sa femme et sa fille. Quelques personnes à peine venaient les voir de loin en loin, et le portier ne savait pas même le nom de ces personnes. Ce manque absolu de renseignemens, au lieu de décourager M. Gestral, le réjouissait. Il n’avait en quelque sorte fait ces démarches que pour l’acquit de sa conscience et se serait presque cru amoindri, si elles lui avaient apporté la moindre lumière. C’était donc, et telle dès le premier moment avait été sa conviction, dans les spéculations de l’ordre moral, dans l’étude des sentimens que devait éprouver le criminel et des mobiles qui allaient logiquement diriger sa conduite, qu’il faudrait chercher la vérité. M. Gestral était d’une philosophie trop sceptique pour croire à une très longue durée d’un sentiment, quel qu’il fût, mais il pensait avec raison que, pendant un certain temps, le coupable se préoccupe surtout de ce qui a trait à son crime et des conséquences qu’il peut avoir. Si l’assassin n’avait point paru à l’enterrement de sa victime, comme M. Gestral l’avait d’abord espéré, il devait à coup sûr lire avidement les journaux qui parlaient, en style de tribunal, de l’affaire Renouf. Toutefois, si le commissaire ne s’était pas trompé sur les motifs qui avaient poussé le meurtrier, si celui-ci, en dehors de la vengeance brutale qu’il avait accomplie, en avait réellement entrevu une autre plus complète et plus terrible dans la condamnation probable d’Isidore, ce simple compte rendu des débats, lu à huis clos, ne lui suffirait pas. Comment ne serait-il pas attiré vers le théâtre où se dérouleraient vivantes les péripéties du drame dont il avait écrit la première page en caractères sanglans, dont il avait noué la trame et préparé le dénoûment ? Là seulement il pourrait savourer à son aise les pâleurs de l’accusé, la sévérité des juges, l’indignation de l’opinion, et s’affirmer à lui-même, d’heure en heure, sa propre impunité et la perte de son ennemi. Autre chose encore. M. Gestral, qui se mettait à la place de l’inconnu, imaginait ce qu’il éprouverait pour sa part d’incertitudes, de défaillances, de reviremens de pensée. Si, dans le cours des débats qui allaient s’ouvrir, tout ne marchait pas comme le coupable l’aurait prévu, s’il surgissait quelque incident qui le menaçât, ne voudrait-il pas être là, comme le joueur au tapis vert où sa fortune est engagée, pour épier les chances une à une et vivre jusqu’au bout, dût-il as-