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bien y a-t-il d’hommes en Europe qui voudraient épouser une peau-rouge, une négresse ou seulement une Chinoise ? Que chacun de nous s’adresse cette question : sa réponse secrète lui donnera la solution du problème des castes. Les Aryas de l’Indus eurent pour les indigènes une pareille répugnance et les tinrent à distance au-dessous d’eux. A mesure que leurs établissemens se consolidèrent durant la période du Vêda, cette aversion naturelle fut fortifiée par la lutte, par le contraste des religions et par la nécessité où étaient les Aryas de se maintenir. Tout cela aujourd’hui est historique. Plus le nombre des conquérans était petit, plus ils devaient s’interdire de se mêler avec les indigènes. Je suppose par impossible que les vingt mille Anglais qui sont dans l’Inde contractent mariage avec les gens du pays ; leurs enfans seront à moitié indigènes, leurs petits-enfans le seront aux deux tiers, et si chaque génération nouvelle, imite toujours celle qui la précède, après un nombre d’années qu’on peut fixer approximativement, leur descendance n’aura plus d’eux ni un trait, ni un usage, ni une aptitude, ni une idée, ni peut-être un souvenir. En fin de compte, aucun changement ne se sera produit ni dans la population, ni dans la civilisation. Si les Aryas védiques eussent consenti à s’allier à ces barbares qu’ils appelaient du nom commun de Dasyus, ils auraient disparu au milieu d’eux comme une goutte de pluie dans l’océan. La nature les sépara ; mais, par l’effet non moins naturel d’une fréquentation journalière, un grand nombre d’unions se produisirent jusqu’à l’époque où les hommes d’un esprit supérieur et prévoyant transformèrent en une loi positive l’aversion originelle des races, constituèrent les castes, et, prohibant les unions de hasard, fixèrent les lois, les modes et les conditions du mariage.

Telle est l’origine historique de la loi des castes dans l’Inde. Elle fut maintenue avec une énergie et une constance qu’aucun autre peuple n’a égalées. Les effets en furent prodigieux. Si l’on prend son point de vue d’en bas, on peut, armé des documens les plus variés et les plus authentiques, prouver qu’elle n’a eu dans la pratique aucune influence fâcheuse sur les castes infimes ; d’autre part, elle a protégé les Aryas indiens, conservé la pureté de leur race pendant un grand nombre de siècles, rendu possibles la civilisation brahmanique et le bouddhisme, et maintenant encore elle rend praticable la régénération de l’Inde. Je n’ai pas à juger ici d’un point de vue absolu la valeur des deux civilisations indiennes ; mais elles ont, sans aucun doute, élevé le niveau des races que la conquête avait abaissées, accru singulièrement leur moralité et développé au milieu d’elles un bien-être que les invasions musulmanes ont détruit, et que la conquête anglaise est encore loin de leur avoir rendu, Il faut ajouter que la science brahmanique n’a pas été étran-