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tire le regard et retient l’attention. C’est une œuvre remarquable, qui est reléguée forcément dans la dernière salle de l’exposition, et qui méritait plus que toute autre les honneurs de ce qu’on appelait jadis le Salon carré.

Qui ne se souvient de l’admirable début de l’Orestie ? qui n’a présent à la mémoire le douloureux monologue du veilleur ? « Dieux, je vous en prie, délivrez-moi de mes travaux ; faites que je me repose de cette garde pénible ! D’un bout à l’autre de l’année, comme un chien, je veille en haut du palais des Atrides, en face de l’assemblée des astres de la nuit. Régulateurs des saisons pour les mortels, rois brillans du monde, flambeaux du ciel, je les vois, ces astres, et quand ils disparaissent et à l’instant de leur lever. Sans cesse j’épie le signal enflammé, ce feu éclatant qui doit annoncer ici que Troie a succombé ! » J’avais toujours été surpris qu’un tel sujet, si profondément plastique par lui-même, ne tentât point un peintre de talent. Dans cet homme que ronge l’ennui, qu’accable la fatigue d’une tâche incessante, qui, du haut de la terrasse où il a posé son lit, comme une cigogne voyageuse, regarde invariablement vers la mer immense pour découvrir au loin, sur le promontoire à peine visible, le bûcher allumé qui annoncera la bonne nouvelle ; il y avait motif à un tableau majestueux et solide, donnant lieu à des lignes sévères, relevées par d’habiles oppositions de couleurs. Les poètes sont de bons conseillers pour ceux qui savent les entendre, et l’on ne les consulte peut-être pas assez souvent. Dans sa simplicité grandiose et farouche, Eschyle semble n’avoir écrit que pour offrir aux peintres des sujets magnifiques. Le veilleur mélancolique qui se plaint de son sort a fourni à M. Lecomte Dunouy l’occasion de faire un agréable petit tableau où l’on sent trop l’influence de M. Gérôme et les habitudes un peu étroites de l’école dite des pompéistes, qui voient trop souvent les choses par leur petit côté. La toile est fort restreinte, mais les dimensions sont peu importantes, et ce n’est pas à cause de cela qu’elle manque de largeur. La touche est maigre, quoique assez serrée, et la coloration est d’une harmonie triste qui n’est point désagréable à voir. M. Lecomte-Dunouy a interprété Eschyle à sa guise, c’était son droit ; au lieu de faire un guetteur harassé qui interroge l’horizon avec angoisse, il a représenté un oplite qui monte la garde au haut des tours et regarde tristement vers la ville endormie à ses pieds. Est-ce le sujet en lui-même qui a séduit l’artiste ? Je ne le pense pas ; je m’imaginerais volontiers qu’il a été plutôt entraîné par ce que je nommerai d’un vilain mot, le bric-à-brac. En effet, tout le soin de l’exécution est donné à la tunique rouge, au casque armé de son nasal, aux cnémides, à la sarisse, au bouclier posé