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toujours admis que de très bonne foi on pouvait être d’un autre avis que lui, et même à la tribune, au plus fort de la lutte, ses adversaires les plus habituels n’étaient pas les personnes, ce n’étaient vraiment que les idées ; mais enfin les gens qu’il combattait alors, il les appelait sans scrupule par leurs noms : ici c’est autre chose, pas un nom propre, la guerre est anonyme. En changeant d’atmosphère, en passant de la terre au ciel pour ainsi dire, ou tout au moins de la tribune à la chaire, de la politique à l’Évangile, il change de méthode et fait un pas de plus. Il prétend s’affranchir tout à fait des personnes, qui, selon lui, ne sont qu’un embarras et enveniment les questions. Il oublie donc, ou du moins il ne veut pas nous, dire quels sont ses adversaires ; il les réfute, il ne les nomme pas.

N’est-ce là que du savoir-vivre, de la réserve, du bon goût ? C’est quelque chose de plus encore. Sans doute, à ne parler ainsi que des idées et non de ceux qui les professent, on perd un grand moyen d’action. Dans les matières abstraites, quelques noms propres, introduits çà et là, sont d’un puissant secours : ils éveillent et piquent l’attention, ils sèment l’intérêt et la vie ; mais ce qu’on gagne d’un côté, souvent on le perd de l’autre. L’intervention de ces noms propres, n’eût-elle rien d’irritant, risque toujours d’amoindrir le débat. Les questions se réduisent à la mesure de ceux qui les soutiennent. Mieux vaut prendre un parti tranché et tenir les personnes absolument dans l’ombre. M. Guizot s’en trouve bien. Nulle part dans son livre il n’y a sujet de regretter l’attrait et la vivacité d’une polémique plus directe, et cette urbanité, ces noms omis, sans rien changer au fond des choses et sans rien atténuer, répandent dans l’ouvrage une gravité calme, presque un parfum de tolérance qui met en confiance le lecteur et le dispose à se laisser convaincre. Il est vrai qu’on ne soutient ainsi ce genre de polémique qu’en suppléant par la grandeur des vues au défaut de passion dans la lutte. Il faut prendre son vol, monter au plus haut des questions, tout dominer, tout éclaircir. Tel est aussi le caractère de ces Méditations. Élévation du point de vue, largeur du plan, clarté du style, voilà ce qui leur imprime un vrai cachet d’originalité.

Ce n’est pas de la théologie que prétend faire M. Guizot. Il n’écrit pas pour les docteurs. Il ne disserte pas sur des textes, sur des points de doctrine ; il ne cherche pas à résoudre de scolastiques difficultés ; encore moins veut-il mêler sa voix à des débats de circonstance, descendre aux questions du jour, et suivre pas à pas dans ses diverses phases la crise dont le monde chrétien est agité en ce moment. Ce sont des questions plus profondes et plus permanentes qu’il entend aborder ! ; il veut mettre en lumière la vérité