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pourraient voir dans cette abolition qu’une très grande très funeste erreur !

Me voilà donc encore une fois, et sans trop le vouloir, en présence de cette redoutable question ; elle est trop de mon sujet néanmoins pour que je ne doive pas m’en expliquer ici même et avant d’aller plus loin. Il m’a semblé d’ailleurs qu’au moment où dans plus d’un pays se préparent de prochains et rudes assauts contre la peine de mort[1], il siérait mal à un vieil athlète de déserter ou de paraître déserter une cause dont il fut un jour le soldat heureux[2].

Que les esprits les plus élevés et les plus nobles cœurs se passionnent contre le principe même d’une peine irréparable dans ses effets, et que les croyans surtout éprouvent une religieuse terreur à la seule idée de la justice humaine s’interposant entre Dieu et le repentir, et allant ainsi frapper du même coup les criminels dans leur destinée périssable et dans celle qui ne l’est pas, qui pourrait s’en étonner ? Peut-être même faudrait-il plaindre ceux dont la conscience sur ce point n’aurait pas été agitée par des doutes sérieux, et d’honnêtes scrupules ; mais enfin, et quoiqu’il en soit, il a bien fallu cependant, après cette longue et ardente controverse, où tout a été dit, prendre un parti, ne serait-ce que pour ramener la question à ses termes véritables, qui peuvent, je pense, se formuler de la sorte :

La peine de mort est-elle absolument nécessaire à la défense de la société ?

Dans quelle mesure cette nécessité existe-t-elle ?

Il est bien entendu qu’en posant ainsi la question je suppose à priori qu’il va de soi, pour les adversaires comme pour les défenseurs de la peine de mort, que dès qu’on en reconnaît la nécessité, on tient par là même cette peine pour légitime. Je crois en effet que personne aujourd’hui, je parle dès hommes sérieux, ne voudrait avoir sur ce point un autre avis[3]. Non, on ne va pas jusque-là, au moins explicitement et à front découvert ; on préfère se renfermer dans cette simple assertion, que la peine de mort est loin d’être aussi nécessaire que le prétendent ses partisans, et qu’à tout

  1. Parlement de Turin, — haute commission instituée en Angleterre pour l’examen de la question, — adoption d’une motion relative à la peine de mort par la diète du grand-duché de Saxe-Weimar, — pétition au sénat français. — On jugera si le récent débat soulevé sur cette question au soin du corps législatif (discussion de l’adresse) a pu et dû changer notre conviction ; qu’il me soit du moins permis de dire que, malgré de très belles et très éloquentes paroles, telle n’est pas l’impression que j’en ai reçue.
  2. Assemblée constituante, 1849.
  3. Lord John Russell, dans une publication récente, paraît bien incliner vers l’abolition de la peine de mort, mais sans admettre que l’on puisse en contester la légitimité : il fait au contraire sur ce point les réserves les plus expresses.