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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/781

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lent, ni conflit. Partout en un mot l’air circule mieux, l’équilibre pittoresque se constitue plus naturellement, grâce au parti qu’a pris le maître d’élargir relativement son cadre et d’adopter, pour la distribution des divers groupes, deux plans parfaitement distincts rappelant à peu près les dispositions du théâtre antique.

L’un, sorte de proscenium entouré d’un pœcile dont les murs sont ornés de peintures reproduisant les compositions de Flaxman sur l’Iliade et sur l’Odyssée, sert à la fois de soubassement au temple dédié à Homère, de piédestal au trône sur lequel le « divin aveugle » est assis, de plate-forme pour les deux chœurs rangés de chaque côté de ce trône et représentant, dans l’ordre chronologique, les aînés de la race homérique. L’autre, réservé aux derniers descendans du poète, correspond à la place qu’occupait l’orchestre dans le théâtre antique, et un autel s’y élève de même au centre, portant le nom du dieu auquel il est consacré. À la droite et à la gauche de la scène, des personnages appartenant aux époques intermédiaires s’étagent sur des degrés qui mettent en communication le plan supérieur et le plan inférieur, et conduisent ainsi le regard des figures qui résument la tradition homérique dans l’antiquité aux figures qui en perpétuent le souvenir jusque dans les temps modernes. Enfin, aux quatre angles du champ que peuple cette foule illustre, quatre groupes principaux rappellent et personnifient les siècles glorieux entre tous dans l’histoire des lettres et des arts. Au-dessous de Périclès, debout auprès de Phidias, de Socrate et d’Aspasie, Louis XIV, assis au milieu d’un cortège de grands hommes, s’efface presque pour faire place à Bossuet, à Colbert, à Racine et surtout à Molière, dont la figure, dominant toutes les autres, forme le sommet de la pyramide que les lignes dessinent dans cette partie de la composition. En regard du roi de France, les trois Médicis, Côme, Laurent et Léon X, ont à leurs côtés les érudits et les artistes que le XVe siècle vit naître pour l’honneur éternel de l’Italie, tandis que, faisant face aux philosophes et aux artistes grecs qui accompagnent Périclès, les poètes latins du siècle d’Auguste attestent la gloire littéraire de Rome avant l’ère que le christianisme allait ouvrir.

Si la nouvelle œuvre de M. Ingres avait eu pour objet de nous donner le résumé complet des progrès intellectuels de l’humanité, s’il s’était agi de représenter Homère comme le fondateur d’une dynastie à laquelle appartiennent, par droit de génie, tous ceux que la postérité a classés parmi les penseurs ou les artistes souverains, sans doute on pourrait remarquer plus d’une omission dans les noms, plus d’une lacune dans les exemples proposés à notre vénération. Ainsi, comment Shakspeare et Pascal, comment Léonard de Vinci et Mozart se trouveraient-ils exclus de ce panthéon où siègent, entre autres hôtes infiniment moins dignes d’y être admis, Pope, l’abbé Barthélémy et Mme Dacier ? En s’imposant la tâche qu’il vient de mener à fin, M. Ingres toutefois n’a nullement entendu dispenser l’immor-