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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/844

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vait s’y hisser en se servant des mains autant que des pieds, avec un précipice effroyable à droite et à gauche. Les rochers auxquels on s’accrochait étaient couverts de glace, qu’il fallait faire sauter à coups de hache afin d’y trouver quelque prise. Les voyageurs furent même réduits à se faire des points d’appui momentanés en enfonçant les ciseaux dont ils étaient munis dans les fentes des pierres. On peut imaginer les difficultés de cette dernière escalade en songeant qu’il leur fallut deux heures d’efforts incessans pour s’élever de 300 pieds. Enfin ils arrivèrent au sommet quelques minutes après midi. Ils virent alors qu’ils n’avaient pas encore atteint la toute dernière cime, la Aller-höchste-Spitze, qui les dominait d’une vingtaine de pieds, et qui de ce côté semblait complètement inabordable.

Le sommet où ils se trouvaient avait à peine quelques mètres carrés : les parois de mica-schiste plongeaient à pic de tous côtés, sauf vers l’arête aiguë qu’ils avaient gravie. L’altitude était de 4,640 mètres ou 14,283 pieds. Le thermomètre marquait cinq degrés au-dessous de zéro. Le ciel était parfaitement clair, et cependant les plaines de la Lombardie se perdaient dans une brume bleuâtre qui empêchait de distinguer les localités. On n’apercevait le fond d’aucune vallée, sauf les beaux pâturages de Macugnaga à une profondeur presque verticale de 10,000 pieds. On y distinguait les chalets et les sapins, mais réduits à des proportions microscopiques par la distance. Tout autour s’élevait une quantité innombrable de sommités semblables aux vagues d’une mer pétrifiée, plus basses vers le sud, mais groupées vers le nord en un prodigieux massif que terminaient les pics du Mischabel et du Weisshorn. Du Mont-Blanc à l’Ortlerspitz en Tyrol, on pouvait suivre le grand soulèvement des Alpes qui borne l’Italie de ce côté. Descendus de la dangereuse aiguille, MM. Schlagintweit s’arrêtèrent encore quelques heures à l’endroit où ils avaient laissé leurs instrumens, afin d’y faire les observations et les mesurages nécessaires. En revenant, l’expédition suivit une nouvelle direction, espérant éviter les séracs et les crevasses, extrêmement difficiles à franchir lorsque le soleil a ramolli la neige. Tout allait bien quand subitement les explorateurs se trouvèrent arrêtés court par une déclivité presque à pic entrecoupée de profondes fissures. On perdit une heure et demie à chercher un endroit où l’on pût descendre. Le soir approchait, et continuer à marcher sur ces pentes glacées pendant l’obscurité, c’était s’exposer à une mort presque certaine. Enfin on avisa un couloir qui descendait de la terrasse où l’on se trouvait à un plateau de neige inférieur. L’inclinaison était effrayante, — de 60 à 62 degrés ! Ce couloir pouvait aboutir à une crevasse où la glissade au