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qu’il aimait beaucoup, révèlent un caractère à la fois ferme et bon. Après la publication de la première partie du Tristram, les ennemis d’Yorick firent courir le bruit qu’il se proposait, dans la seconde, de ridiculiser le docteur Warburton, qui venait justement d’être promu au siège épiscopal de Glocester. Le caractère altier de l’évêque était bien connu, et Sterne, craignant que cette rumeur calomnieuse ne le rendît son ennemi, pria Garrick de la démentir auprès de lui. Garrick se chargea avec empressement de la commission et gagna à Yorick l’amitié de l’évêque, qui, à partir de cette époque, n’épargna ni les marques de faveur à son concitoyen dans la république des lettres, ni les remontrances doucement paternelles à son inférieur ecclésiastique. Nous possédons deux des lettres de Warburton à Sterne ; elles sont très belles, très dignes, et l’une d’elles contient en termes d’une grande élévation la confirmation du jugement que nous portions tout à l’heure sur le caractère de Garrick. Lorsqu’il dut partir pour la France, Sterne, après avoir établi son budget, eut envie d’emporter avec lui vingt livres de plus, et pria Garrick de les lui prêter. Trois ans après, il était toujours en France, et les vingt livres n’étaient pas encore rendues à Garrick, qui s’apprêtait à venir à son tour visiter notre pays. Pressé d’argent, il écrivit à un ami commun de les faire réclamer, mais avec quels ménagemens ! « Je vous en prie, recommandez-lui bien d’éviter d’être dur avec Sterne. » Un bon sens mâle se mêlait à cette bonté, et un jour que Sterne, oubliant le péché dont il se rendait si souvent coupable, disait étourdiment, en parlant d’un homme accusé de se mal conduire envers sa femme, qu’on devrait le pendre à la porte de sa maison, Garrick, le regardant sévèrement, lui imposa silence par ces quelques mots : « Sterne, vous vivez en garni (Sterne, you live in lodgings). »

Cette réplique de Garrick nous fournit l’occasion de placer ici une petite remarque qui plaide en faveur du caractère de Sterne. Oublieux comme il l’était et de ses devoirs d’homme et de ses devoirs d’ecclésiastique, il ne portait dans son inconduite aucun endurcissement de cœur. Il était singulièrement sensible au reproche, et une riposte qui portait coup réduisait immédiatement au silence cet homme de tant d’esprit, un jour dans un salon il se vantait trop bruyamment d’une malice peu convenable commise à l’égard d’une pauvre vieille femme du peuple qui, trouvant sans doute que son vicaire prêchait bien et prenant plaisir à l’entendre, s’était approchée plusieurs fois de lui à l’issue du service divin pour lui demander dans laquelle de ses deux paroisses il prêcherait son prochain sermon. A la fin, dit Sterne impatienté, je préparai un sermon tout exprès pour ma vieille femme sur ce texte : « J’acquiescerai