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sont pas semblables. Il faudrait encore tenir compte dans chaque organe de la proportion de ses parties composantes. Je ne connais point de sujet plus compliqué, de question plus difficile. »

Le poids du cerveau, soit absolu, soit relatif, étant un symptôme si difficile à déterminer et d’une signification si douteuse, on a proposé un autre critérium pour mesurer l’intelligence par son appareil organique. On a dit qu’il fallait moins considérer le poids que la forme et le type. Gratiolet insistait beaucoup sur cette considération ; mais ce nouveau critérium présente lui-même de nombreuses difficultés. Si la forme est ce qu’il y a de plus essentiel dans le cerveau, il sera permis, à défaut d’autres moyens, de prendre le cerveau humain comme le type le plus parfait, puisque c’est l’homme qui est l’animal le plus intelligent. Gratiolet adoptait ce principe, et pour lui l’unité de mesure en quelque sorte était le cerveau d’un homme adulte de la race caucasique. On est par là conduit à supposer que les animaux seront plus intelligens à mesure que leur cerveau ressemblera plus au cerveau humain ; mais cette règle est loin d’être sans exception.

S’il en était ainsi en effet, l’embranchement des vertébrés, qui conserve jusque dans ses derniers représentans un même type de cerveau, devrait être absolument supérieur en intelligence à tous les autres embranchemens où le cerveau, quand il existe, appartient à un type tout différent de celui du cerveau humain. Ce n’est pourtant point ce qui a lieu. « Dans l’ordre intellectuel, dit Leuret, passer des insectes aux poissons, ce n’est pas monter, c’est descendre ; dans l’ordre organique, c’est suivre le perfectionnement du système nerveux. En effet tout ce que nous savons des mœurs, des habitudes, des instincts propres aux poissons, nous oblige à regarder ces animaux comme généralement inférieurs aux insectes, et à les placer fort au-dessous des fourmis et des abeilles, tandis que leur système nerveux, comme celui de tous les vertébrés, offre de nombreux caractères qui le rapprochent du système nerveux de l’homme. » De cette considération, Leuret conclut, à l’inverse de Gratiolet, « qu’il ne faut pas attribuer à la forme de la substance encéphalique une très grande importance[1]. » Sans sortir de l’ordre des mammifères, il est très difficile d’attribuer une valeur absolue à la forme cérébrale, car s’il est vrai que le singe a un type de cerveau tout à fait semblable à celui de l’homme, en revanche, nous dit Lyell, « l’intelligence extraordinaire du chien et de l’éléphant, quoique le type de leur cerveau s’éloigne tant de celui de l’homme, cette intelligence est là pour nous convaincre que nous sommes

  1. Leuret, Anatomie comparée, t. Ier, ch. III, p. 136 et p. 221.