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en falsifiant la doctrine de Joachim[1], et il raconte les redoutables disgrâces qui l’atteignirent sans fléchir son opiniâtreté. Affò, qui le premier connut ce texte capital, alors inédit, et après lui Sbaraglia et Tiraboschi se sont rangés avec raison à l’autorité péremptoire de frà Salimbene.

Il résulte de tout ce qui précède que nous avons le texte de ce qu’on appelait proprement « l’Évangile éternel » dans les trois principaux ouvrages authentiques de Joachim. Quant aux notes de Gérard, elles sont très probablement perdues sans retour, à l’exception des fragmens qui nous ont été conservés par l’acte d’accusation de la commission d’Anagni. À plus forte raison, doit-on désespérer de retrouver jamais le texte complet de l’Introductorium. La rigueur avec laquelle les livres hétérodoxes étaient proscrits au moyen âge explique une telle disparition. Plusieurs années après la condamnation de 1255, Salimbene vit un exemplaire sur papier de l’ouvrage de Gérard, lequel avait été copié à Rome par un notaire d’Imola. Le gardien du couvent vint le consulter comme ancien joachimite sur la valeur de cet écrit. Salimbene eut peur, craignit peut-être quelque piège, et dit qu’il fallait sur-le-champ brûler le volume ; ce que l’on fit[2].

Comme le volume que tenait maître Florent avait pour texte principal une suite d’extraits des écrits de Joachim, on peut se demander si la compilation contenue dans le n° de Sorbonne 1726, du fol. 1 au fol. 78 (le premier document indiqué ci-dessus), ne doit pas être identifiée avec ce livre mystérieux. Mais les notes de frère Gérard, telles qu’on les trouve dans les actes de la commission d’Anagni, na se lisent pas dans notre manuscrit. On trouve seulement à la marge de courtes scolies, destinées à faire remarquer les principales idées de Joachim, précisément celles sur lesquelles Gérard insistait de préférence. Une difficulté bien plus grave, c’est que, parmi les extraits que tenait maître Florent, il n’y avait de citations que des trois grands ouvrages authentiques de Joachim, tandis que dans notre manuscrit les commentaires apocryphes sur Jérémie, sur Ezéchiel et le De oneribus provinciarum tiennent une place importante. Il faut remarquer du reste que la compilation contenue dans notre n° 1726 semble faite parfois un peu au gré du copiste : il y a des blancs, des reprises[3]. On ne peut pas l’identifier avec l’édition donnée par Gérard. Nous croyons que, parmi les écrits

  1. P. 103 et suiv. ; 233 et suiv.
  2. P. 235-30 ; comparez p. 234-35.
  3. C’est sans doute à des compositions de cette nature que Florent fait allusion dans son concile d’Arles : « Plurima super his phantasiis commentaria facta descripserunt. » (Labbe, t. XIV, p. 242.)