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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/138

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face VIII. Elle nous apparaît à cette époque comme le pays idéal auquel songeaient tous les réformateurs. « Peut-être, dit Fleury, avaient-ils été frappés de quelques bons restes de l’ancienne discipline qu’ils y avaient vus, surtout de la frugalité et de la pauvreté de leurs évêques, si éloignées du faste et de la grandeur temporelle des évêques latins de ce siècle[1]. » Quand on songe que la Grèce était le foyer du catharisme[2], dont les analogies avec les doctrines de l’Évangile éternel ne peuvent être méconnues, quand on voit d’ailleurs l’école de l’Évangile éternel suivre une voie toute semblable à celle du catharisme et s’identifier presque avec lui, on est tenté d’envisager la première de ces doctrines comme une branche détournée de la seconde, formée non par affiliation directe, mais par des influences secrètes et non avouées. Le catharisme semble ainsi avoir pénétré en Occident par deux routes et avoir déterminé au moyen âge deux courans d’hérésies parallèles, qui aboutissent presque au même résultat, se confondent dans l’opinion et sont arrêtées par les mêmes moyens. Ces affinités deviennent plus frappantes encore quand on surprend les auteurs contemporains attribuant à Amaury de Chartres, dans les premières années du XIIIe siècle, des doctrines analogues à celles de l’Évangile éternel[3], doctrines qui avaient elles-mêmes la plus grande analogie avec celles des hérétiques d’Orléans de 1022, que M. Schmidt rattache sans hésiter à l’église cathare[4].

Quoi qu’il en soit de ce point, il est impossible de douter que de telles idées de réforme ne répondissent à des besoins profonds. Même après leur condamnation, les idées joachimites continuèrent encore près d’un siècle d’agiter les esprits. Elles vivaient surtout dans le midi de la France, où les écrits de la secte se copiaient avec activité et se passaient de main en main[5]. En 1260, un concile rassemblé à Arles par ce même Florent qui remplit les fonctions de

  1. Hist. Eccl., l. LXXXIV, n° 35.
  2. Voyez l’excellente Histoire des Cathares ou Albigeois de M. C. Schmidt, de Strasbourg (Genève 1848).
  3. Cf. J. M. Meyenberg, De pseudo-Evangelio œterno, § 2 et 3 ; Hauréau, dans la Revue archéologique, décembre 1864. — Saint Antonin attribue à Amaury des doctrines tellement identiques à celles de l’Evangile éternel qu’il faut supposer qu’il en parlait, non d’original, mais par induction et d’après un type convenu pour toutes les sectes empreintes de catharisme et de mysticisme.
  4. Hist. des Cathares, t. Ier, p. 28 ; t. II, p. 151,287. — Voir dom Bouquet, t. X, p. 35,536, etc. ; Cartulaire de Saint-Père de Chartres, t. Ier, p. 100 et suiv., et l’introduction de M. Guérard, p. CCXIV et suiv.
  5. « Præsertim quum in partibus provinciarum quibus licet immeriti in parte præsidemus, jam plurimos etiam litteratos hujusmodi phantasiis intellexerimus eatenus occupatos et illectos ut plurima super iis commentaria facta descripserint, et de manu ad manum dando circumferentes, ad externos transfuderint nationes (Concile d’Arles en 1260, dans Labbe, t. XIV, col. 242). »