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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/142

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doute, quand on entend tous les sectaires que nous venons de nommer déclarer unanimement qu’ils ne relèvent que de Dieu, qu’ils ne sont assujettis à aucune obédience, qu’ils imitent la vie du Christ et des apôtres, et que toute l’autorité de l’église romaine, de cette église condamnée à cause de la malice des cardinaux et des prélats, a passé au peuple[1]. L’habit monacal n’était souvent, au moyen âge, qu’un sauf-conduit, une garantie d’inviolabilité, souvent aussi un prétexte pour le vagabondage, comme le prouvent les innombrables décrets des conciles provinciaux contre les moines et les écoliers gyrovagues, portant indûment le vêtement religieux. L’habit de Saint-François, confinant à celui du mendiant, servit ainsi, en Italie et dans le midi de la France, à couvrir de dangereuses associations populaires, les unes érigeant la mendicité en devoir, proclamant que la perfection serait d’aller nu, que la prière n’est efficace que quand on la fait nu, condamnant le travail, pleines de déclamation et de colère contre les riches et les hommes du monde, les autres déclarant qu’elles seules avaient le droit de faire descendre le Saint-Esprit par l’imposition des mains, qu’on ne pouvait se sauver que dans leur ordre, que les prélats de l’église charnelle ne méritaient que le mépris, que tous les papes, depuis saint Silvestre, n’avaient été que des séducteurs, à l’exception toutefois de Pierre Célestin, que nulle excommunication ne pouvait les atteindre, puisque la règle de Saint-François est supérieure au pape et à l’église. L’ordre de Saint-François, dans son ensemble, avait droit assurément de repousser la responsabilité de ces extravagances ; cependant l’opinion qui supposait des liens de parenté entre les familles diverses de mendians religieux reposait sur des fondemens réels. La même confusion avait lieu pour les cathares, que la longueur de leur vêtement et leur extérieur austère faisaient souvent ranger parmi les frères du tiers-ordre sous le nom de bonshommes et de cagots. Que l’on parcoure les registres de l’inquisition de Toulouse et de Carcassonne[2], on y verra non sans étonnement que tous les condamnés de ce redoutable tribunal sont des frères du tiers-ordre ou des béguins. On s’en tenait à l’extérieur et souvent à des indices plus légers encore, témoin ces inquisiteurs qui envoyaient au bûcher des malheureux suspects de catharisme, uni-

  1. Direct, inq., p. 201 et suiv.
  2. Voir Ph. de Limborch, Hist. Inquis., cui subjungitur liber sententiarum Inquis. Tolosanœ, ab anno 1307 ad 1323. (Amstelodami, 1692.) — Baluze, Miscell, t. Ier, p. 213 et suiv. — Manuscrits de Saint-Germain, n° 395,396 (actes de l’inquisition de Toulouse, de 1285 à 1304, inédits), et plusieurs pièces de la collection Donat. Comparez ancien fonds, n° 6193. Étudier surtout le procès de Bernard Délicieux. La bibliothèque de la Minerve à Rome possède beaucoup de pièces du même genre.