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buste et si énergique, dont la vie était une continuelle expansion, un débordement de puissance, si l’on peut ainsi dire ?

J’allais le perdre de vue lorsque je remarquai que Médor, son inséparable compagnon, qu’il prenait par la peau du cou et plaçait en travers sur le garrot de son cheval quand il le voyait fatigué, ne le suivait pas. Jean, sachant que l’animal chasseur faisait souvent des pointes dans la campagne et le rejoignait toujours, ne s’en inquiétait guère. Médor était sûr d’être mis sur le cheval quand il arriverait exténué d’une course forcée. Pourtant je le cherchai des yeux, et je le vis avec surprise derrière moi, couché sur le flanc, d’un air morne. Je voulus le renvoyer à son maître, la persuasion et la menace furent inutiles. L’animal, épuisé et haletant, me regarda comme pour me dire qu’il était malade, et qu’il aimait mieux périr sous les coups que de tenter une nouvelle course.

Jean était trop loin pour voir ce qui se passait et pour revenir sur ses pas. Je dus ramener le chien à la maison. Le lendemain, il ne voulut ni manger ni boire ; on crut que c’était le chagrin de n’avoir pu suivre son maître. Le jour suivant, on le chercha en vain ; il avait disparu. Ce brave Médor, pensa-t-on, a couru après son ami dès qu’il s’en est senti la force. Il saura le retrouver.

Il le retrouva en effet aux portes de Lugano. Il se jeta sur lui pour le caresser, et il le mordit. L’hydrophobie, ce mal terrible, combattu durant plusieurs jours par l’affection, la mémoire et la fidélité, éclata au moment de la joie. Quelques jours après, je reçus une lettre de Tonino. Jean était gravement malade, et on ne pouvait savoir la nature de son mal. Il avait une fièvre ardente et un délire furieux. Je dus préparer Félicie à apprendre quelque chose de grave. Elle me devina, elle m’arracha la lettre. — Mon frère est fou ! s’écria-t-elle ; il devait finir ainsi, j’en étais sûre ! Nous partîmes une heure après, à cheval tous deux, pour gagner la poste la plus prochaine. La nuit nous surprit dons une gorge étroite et sombre, et nous dûmes nous ranger contre la paroi du rocher pour laisser passer un cavalier qui arrivait sur nous au galop.

Il s’arrêta en nous voyant, et nous demanda en italien le chemin de la Diablerette. Il venait de la part de Tonino pour nous empêcher de partir. La lettre du matin n’était qu’une préparation à l’horrible nouvelle. Jean était mort dans une exaspération atroce. On avait dû tuer le chien. Le médecin avait reconnu une morsure au bras du malade. Ainsi s’était réalisée, avec la rapidité de la foudre, le fantastique et affreux rêve du pauvre Jean.

Tonino ajoutait par la bouche de l’exprès : — Ne partez pas, je connais les idées et les sentimens de Félicie. Le corps de son frère