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LA GUERRE EN 1866.

esprits à obtenir la vitesse à tout prix pour servir de la manière la plus avantageuse les rapports mutuels des hommes et des nations. C’est une autre face de la même idée, que l’on croyait d’abord n’appliquer qu’à l’ordre industriel, et qui, en fait, est devenue un instrument de guerre de plus en plus considérable.

Le télégraphe électrique, c’est encore le même principe, mais se manifestant dans la pratique avec un tel éclat que, malgré la jalousie des gouvernemens, il a fallu accorder l’usage du télégraphe aux simples citoyens, même jusqu’à l’emploi des dépêches chiffrées. Les services de paquebots, auxquels la France et l’Angleterre seules consacrent des subventions annuelles de près de 50 millions de francs, ont-ils une plus grande raison d’être que la rapidité avec laquelle ils distribuent aujourd’hui par toute la terre les correspondances des individus et des gouvernemens ? Si ce n’était cette rapidité et la nécessité indispensable de l’obtenir pour avoir les avantages de tout genre qu’elle rapporte, qui consentirait à entretenir à si grands frais des navires qui, précisément à cause des sacrifices qu’ils font à la vitesse, sont incapables de subvenir par leurs recettes propres aux dépenses qu’ils entraînent ? Lorsque la marine militaire, abandonnant le système moins coûteux de la navigation à voiles, se met à construire exclusivement des bâtimens à vapeur, développe ses appareils jusqu’à plusieurs milliers de chevaux de force, et consent, pour loger ces immenses machines avec le combustible qu’elles consomment, à réduire le nombre de ses canons dans la plus large proportion, que nous enseigne-t-elle, sinon que la vitesse est devenue pour elle une puissance au moins égale à celle du canon ?

Tous les faits de l’histoire, depuis le jour ou l’on construisit la première charrue et la première route, concourent à confirmer cet axiome, et chaque progrès de la civilisation contribue à le faire ressortir d’une manière plus éclatante. La courte campagne de 1866 lui apportera son contingent de preuves à l’appui et de preuves d’autant plus frappantes qu’il semblait au premier abord que la balance des avantages réciproques entre les deux adversaires devait pencher en faveur de celui qui a été vaincu, et que celui qui a été vainqueur ne peut devoir son triomphe qu’à la rapidité de ses manœuvres et à la rapidité du tir de son infanterie. Le fusil à aiguille, qui a joué un si grand rôle dans ce sanglant conflit, serait en effet, si on le comparait seulement coup pour coup, une arme très inférieure au fusil de toutes les infanteries de l’Europe pour la justesse, pour la portée, pour la pénétration ; mais cette infériorité, il l’a rachetée avec un bénéfice incalculable parle nombre de balles que dans un temps donné il pouvait envoyer à