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hasard se fait-il que nulle de ces lettres si dramatiques ne se rencontre à Vienne, tandis que nos éditeurs français en possèdent à eux deux une série? Pourquoi nulle indication de provenance qui rende une vérification possible? Enfin quelques-unes de ces lettres offrent certaines analogies trop frappantes avec les documens qui sont dans le livre de M. de Bacourt. A des preuves comme celles qui autorisent la lettre du 22 avril nous nous serions rendu.

Veut-on savoir ce qui me rend, pour ma part, si défiant? C’est que, dans cette nouvelle période des années de la révolution, je rencontre, sans le vouloir, une démonstration aussi éclatante que l’était tout à l’heure celle de la fausse écriture. Il y a aux archives du ministère des affaires étrangères de Suède, à Stockholm, en original, une lettre de Fersen à Gustave III, datée du 1er janvier 1792, dont j’ai la copie. Fersen écrit de Bruxelles, où il se trouve avec Mercy; tous deux sont les intermédiaires de la reine avec les souverains étrangers. Après avoir expliqué de son mieux les récentes dispositions de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Fersen dit au roi de Suède : « Pour vous donner, sire, une idée plus précise des sentimens du roi et de la reine, voici quelques passages de la lettre que cette princesse écrit au comte de Mercy. » Suivent quatre fragmens séparés par des points. Cette lettre de Marie-Antoinette à Mercy, je la trouve dans le nouveau volume de M. d’Arneth; elle porte la date du 16 décembre, que Fersen n’avait point indiquée. J’y reconnais naturellement, dans l’ordre où Fersen les a cités, les quatre fragmens de Stockholm, reliés entre eux par d’importans développemens que Fersen n’avait pas jugé à propos de communiquer à son roi. Jusqu’ici tout va bien; mais voici que je rencontre chez M. d’Hunolstein une lettre de Marie-Antoinette à Mercy, dans laquelle, si les quatre fragmens de Stockholm sont reproduits intégralement, les lacunes sont comblées par quelques lignes insignifiantes pour le fond et pour la forme, et différentes en tout des passages correspondans qui sont à Vienne. Comment expliquer ces ressemblances et ces différences? Dira-t-on, comme on l’a dit si souvent, que la reine écrivait plusieurs fois la même lettre pour l’envoyer par diverses occasions, et qu’elle pouvait faire des variantes? Mais comment les variantes, — y compris la date arbitraire, 7 décembre, — ne porteraient-elles que sur les lacunes de Fersen, et pourquoi la lettre de M. d’Hunolstein serait-elle, pour le reste, si semblable à celle de Stockholm, que trois lignes soulignées par Fersen dans un des fragmens qu’il cite à Gustave III se retrouvent soulignées ici, mais non pas dans la lettre de Vienne? — Ce n’est pas tout; voici le couronnement. La vraie lettre, celle des archives autrichiennes, se termine par deux lignes en chiffre, dans lesquelles la reine dit : « Pour plus de précau-