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velle n’a pas su éviter les excès de pouvoir, inspirés par un esprit soi-disant révolutionnaire, et nulle part elle n’a su se faire respecter et obéir. Comme on avait appris d’abord que la milice nationale des gardes-frontières avait accueilli assez froidement l’annonce de l’intronisation d’un prince étranger, on a voulu, pour les dominer et agir sur leurs dispositions, les concentrer aux environs de Bucharest. Les gardes-frontières d’Ibraïla et ceux de Kalafat se sont également refusés à accomplir ce mouvement de concentration. On a envoyé à ceux de Kalafat un colonel pour les convaincre. Ils l’ont menacé et lui ont dit « qu’ils ne reconnaissaient pas le prince étranger. » On leur a envoyé ensuite un général auquel on prêtait un certain prestige. Ils se sont emparés de sa personne, l’ont expédié au pacha de Widdin, qui l’a retenu six jours prisonnier, et ils ont même adressé par le télégraphe leurs plaintes et protestations « contre le prince étranger » à Constantinople et à Saint-Pétersbourg. — À Bucharest, les délibérations de l’assemblée sur la question des droits civils et politiques à concéder aux Juifs ont été le prétexte d’une réelle émeute. Le 30 juin, la foule, hurlant contre les Juifs, a assiégé le palais du gouvernement. Après des efforts infructueux pour dissiper les émeutiers, un ministre a dû promettre que l’article en faveur des Juifs serait supprimé de la constitution, et il l’a été immédiatement, ce qui n’a pas empêché quatre ou cinq mille individus de se porter sur la synagogue et d’y tout briser. Enfin le corps des officiers dans l’armée régulière a été extrêmement froissé de l’avancement spécial donné aux divers officiers qui sont entrés dans la chambre de Couza la nuit de la révolution, et lui ont demandé son abdication le pistolet au poing. Cet avancement a été l’un des premiers actes suggérés au prince par son nouveau ministère. La grande majorité des officiers de l’armée a rédigé et signé « au nom de l’honneur militaire » une protestation qui a été remise au prince. Sans revenir sur sa décision, le prince a mandé et reçu, malgré l’opposition de son ministère, le corps d’officiers qui avait protesté, et tout en blâmant « comme irrégulière » la protestation des officiers, il s’est presque excusé, disant « que la politique n’était nullement son affaire, à lui, » et que, pour ne plus faire à l’avenir que des nominations justes, il s’arrangerait de manière à connaître personnellement chacun d’entre eux. Toutefois le ministère, voulant avoir le dernier mot, a fait déclarer le lendemain par la chambre, à 74 voix de majorité, « que les officiers du 11 février avaient bien mérité de la patrie ; » puis, afin d’éviter d’autres complications, on a fait partir toute l’armée régulière pour le Danube prétendant que les Turcs le menaçaient, et les Turcs n’avaient pas bougé. Ces désordres, joints à toutes les dépenses extraordinaires, telles qu’ambassades à l’étranger, dont l’installation du nouveau service a été le prétexte, n’ont point, on le pense bien, rétabli les finances, déjà tombées si bas sous le prince Couza. Sous prétexte de la guerre à soutenir contre les Turcs, le ministère a, vers le milieu de juin