Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derne, la séparation de l’église et de l’état; il confond deux ordres de vérités dont la distinction devrait toujours être respectée : les vérités de l’ordre naturel et les vérités révélées; il impose à l’instituteur une obligation dont il ne peut convenablement s’acquitter, et il dispense le prêtre de remplir une des fonctions les plus essentielles de son ministère. Au lieu de dire que la morale serait enseignée par l’instituteur et la religion par le ministre du culte, ce qui respectait la séparation de l’ordre laïque et de l’ordre religieux, on a décidé que l’instruction religieuse et morale serait donnée par l’instituteur sous la direction et la surveillance du ministre du culte, ce qui mène logiquement, de conséquence en conséquence, à l’asservissement du pouvoir civil dans le domaine de l’instruction primaire. Qu’on veuille bien en effet suivre la déduction. Pour que l’instituteur laïque enseigne les dogmes révélés, il faut qu’il en soit reconnu capable; or qui constatera cette capacité? Sera-ce l’autorité communale, le ministre de l’intérieur, l’inspecteur civil? Évidemment non, car ils sont incompétens en matière de dogmes, et ils ne peuvent, à moins de se proclamer sous ce rapport supérieurs à l’église même, décider en dernier ressort de l’orthodoxie des maîtres d’école. Le clergé sera donc nécessairement seul juge de l’aptitude de l’instituteur en cette matière, et comme elle est l’une des plus importantes, la plus importante même de celles qu’on enseigne, il serait absurde de nommer aux fonctions de maître d’école un homme que le clergé n’aurait point reconnu apte à donner l’enseignement religieux. Le pouvoir civil doit par conséquent s’incliner toujours devant les décisions des autorités ecclésiastiques. Nommer ou maintenir en place un instituteur qui expliquerait les vérités révélées d’une façon que le sacerdoce, seul juge en ce point, déclarerait erronée, impie, hérétique, ce serait usurper le légitime domaine de l’église et en réalité soumettre l’église à l’état. Pour échapper à cette extrémité, il faut que, directement ou indirectement, le clergé dirige l’instituteur, ou, ce qui est plus simple encore, il faut qu’il le forme en des maisons de préparation, en des séminaires, comme disent très bien les Allemands, dans lesquels il inculque ses doctrines à son aise. Cela même ne suffit pas. Puisque l’enseignement religieux est donné sous la direction des ministres du culte, il faut que ceux-ci puissent surveiller de près l’instituteur et s’assurer si l’instruction qu’il donne est complètement orthodoxe. Il sera donc nécessaire d’accorder au clergé le droit d’inspection, et ce droit lui confère sur l’instituteur et sur l’école une autorité toute-puissante; l’existence même de l’école dépendra de sa décision. L’enseignement de la religion est obligatoire, on ne peut se dispenser de le donner. Si le clergé déclare que