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à l’époque de la révolution. Les possesseurs de ces domaines échappaient en grande partie à l’impôt foncier et conservaient des privilèges nuisibles à l’agriculture. La prétendue tutelle monarchique engendrait la réglementation à tort et à travers, aussi incommode pour l’ouvrier des champs que pour celui des ateliers. On sait ce que devinrent les corporations industrielles. L’extrême difficulté des communications, l’absence de crédit rendaient impossible le commerce étranger; on essaya le commerce colonial, mais à l’état de monopole, en réservant les bonnes chances pour la noblesse pauvre.

J’indique en masse et rapidement : les faits sont si nombreux qu’il faudrait des volumes pour décrire et démontrer. Constatons seulement que le régime monarchique, s’il a été moins violent et moins oppresseur que la féodalité, n’a pas été beaucoup plus intelligent ni plus fécond. A partir de l’époque où s’est assise la monarchie absolue, vers le milieu du XVIe siècle jusqu’à l’éclosion de l’idée démocratique au XVIIIe siècle, même sous des règnes resplendissans, le fait général a été l’insuffisance de la production, c’est-à-dire la souffrance et l’exténuation des peuples. On sait l’incroyable misère de la France pendant une grande partie de cette période, la décadence et la dépopulation de l’Espagne, l’abâtardissement de l’Italie. Les seuls pays qui échappèrent à cette fatalité furent ceux qui parvinrent à contre-balancer l’omnipotence monarchique par le self-government, l’Angleterre et la Hollande.

Les sources de la production étaient donc oblitérées, et cependant la royauté avait soif de richesse. Les maisons royales en avaient besoin pour leurs armées, pour leur mise en scène, pour leurs clientèles, pour ces cupidités toujours flamboyantes qui font d’une cour une fournaise. Un budget tel que nous le concevons sous notre régime d’égalité, c’est le produit d’une loi financière dont tous les citoyens sont justiciables. Il n’y avait rien de semblable autrefois. Le roi, comme tout autre seigneur, n’avait eu à l’origine que le revenu afférent à sa part de propriété dans son propre fief. Quand il pouvait mettre la main sur les fiefs d’autrui, il les annexait avec leurs charges et immunités. L’agglomération territoriale étant complétée, le budget royal fut comme celui d’un grand propriétaire où l’on additionne les revenus de divers domaines, les uns rapportant beaucoup et d’autres peu. Il y avait tant de conventions sociales à respecter qu’on n’augmentait pas les recettes à volonté. Le plus sûr moyen pour obtenir des ressources nouvelles était d’acquérir une province de plus : quand Louis XIV par exemple prenait possession de l’Alsace, il ajoutait à son actif une rente de 8 millions de livres, dont la valeur effective correspondrait à 50 millions d’aujourd’hui.