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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/721

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sera poussé par le parti de la grande Allemagne, comme Cavour a été entraîné par l’idée de la grande Italie. Le centre de gravité dans le système européen est évidemment déplacé.

Que devient la situation faite à la France ? La lettre impériale lue le 12 juin devant le corps législatif prévoyait la nécessité d’un agrandissement territorial dans le cas où l’équilibre traditionnel serait rompu, en subordonnant toutefois l’extension de nos frontières au vœu librement exprimé des provinces limitrophes. Qu’arriverait-il si les pays rhénans, mis en demeure de se prononcer, émettaient un vœu défavorable à la France? Le gouvernement français suivrait-il le principe des nationalités ou la loi de l’équilibre? Dans la première hypothèse, une campagne inaugurée en haine des traités de 1815 n’aurait servi qu’à exagérer au détriment de la France les traités de 1815; si on invoquait la loi de l’équilibre, ce serait la guerre.

La France, nous a-t-on dit souvent, peut compter à l’avenir sur le concours de l’Italie. Je ne ferais pas aux Italiens l’injure d’eu douter, si les peuples n’avaient à consulter que leurs sentimens; mais dans les données de la politique traditionnelle où nous sommes encore, ce qui détermine les alliances, ce sont les craintes et les besoins. Si une nation possède un cours d’eau, une voie stratégique absolument nécessaires à une nation limitrophe, il faut que la première se lie par une alliance qui tranquillise sa voisine sur l’usage du chemin ou du cours d’eau, ou bien les deux puissances nourriront une défiance qui aboutira à des hostilités et à des projets de conquête. L’Italie considère aujourd’hui le Tyrol et l’Istrie comme des portions de son patrimoine national. À ce titre, elle les réclame; mais, de l’autre côté des Alpes, cette Allemagne qui vient de se faire avec le concours des Italiens serait infirme sans de grandes issues sur l’Adriatique : elle ne se sentirait pas chez elle si les passes du Tyrol étaient possédées par une nation dont les sentimens fussent douteux. L’Italie est géographiquement un appendice de l’Allemagne; elle ne peut éviter les récriminations et peut-être un retour offensif des Allemands qu’en donnant satisfaction à ceux-ci par une alliance intime, et cette nécessité, pesant sur le cabinet de Florence, le fera incliner vers la politique qui triomphe à Berlin.

Depuis que la Russie se recueille, elle est à l’état de sphinx. Sa politique d’avenir semble une énigme qu’elle donne à deviner à l’Europe. S’est-elle refait un système depuis que tant d’événemens ont brisé les traditions de sa diplomatie? Il était de règle pour elle autrefois de mettre obstacle à l’agrandissement de la Prusse. Ce fut l’empereur Alexandre qui pesa sur les négociateurs de 1815 pour limiter les prétentions de la cour de Berlin. En 1859, aux premiers