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pas le développement naturel et vraiment national de la race allemande ; elle a triomphé de l’Allemagne grâce à une alliance étrangère doublée de l’inaction complaisante de la France.

Il y a dans un écrit de la jeunesse de Frédéric II une exclamation qui prend un son perçant et ironique dans l’écho des événemens présens : le jeune prince, étudiant la situation de l’Europe, déplorait la médiocrité d’esprit des hommes d’état qui eussent dû être, suivant lui, les adversaires de la France. « En quoi la France a un avantage infiniment grand, s’écriait-il, c’est qu’elle n’a presque personne en tête dont la profondeur d’esprit, la hardiesse et l’habileté puissent lui être dangereuses ; à cet égard, elle acquiert moins de gloire que n’en acquirent les Henri IV et les Louis XIV. Que dirait Richelieu, que dirait Mazarin, s’ils ressuscitaient de nos jours? Ils seraient fort étonnés de ne plus trouver de Philippe III et IV d’Espagne, plus de Cromwell et de roi Guillaume en Angleterre, plus de prince d’Orange en Hollande, plus d’empereur Ferdinand en Allemagne et presque plus de vrais Allemands dans le saint-empire, plus d’Innocent XI à Rome, plus de Tilly, plus de Montecuculli, de Marlborough, d’Eugène à la tête des armées ennemies; de voir enfin un abâtardissement si général parmi tous ceux à qui est confiée la destinée des hommes dans la paix et à la guerre, qu’ils ne s’étonneraient point qu’on pût vaincre et tromper les successeurs de ces grands hommes. » Que dirait le grand Frédéric, pourrions-nous répéter à notre tour, s’il ressuscitait aujourd’hui? N’aurait-il pas le droit de se réjouir en voyant l’avantage qu’il attribuait, il y a plus d’un siècle, à la France maintenant possédé par le pays à qui il a donné la solide trempe de son génie? En mettant de côté les accidens excentriques de l’alliance italienne et de l’inaction française, combien de causes de succès la Prusse n’a-t-elle pas trouvées dans l’organisation rétrograde et dans l’incapacité de ses adversaires en Allemagne!

C’était beaucoup sans doute d’avoir le concours de l’Italie et de pouvoir compter sur l’abstention de la France; malgré cela pourtant, la Prusse n’eût point vaincu, si les forces de ses adversaires se fussent appuyées sur une meilleure organisation politique, et eussent obéi à une direction prévoyante et active. Si les troupes fédérales et les troupes autrichiennes eussent été prêtes en même temps et eussent agi de concert, la lutte entre l’Allemagne fédérale et la Prusse n’eût point été inégale. De même que le soldat autrichien, le soldat fédéral allemand s’est montré brave et capable de tenir tête à l’ennemi. Toutes ces ressources ont été perdues parce qu’elles ont été puérilement et cruellement gaspillées par les gouvernemens d’ancien régime superposés à de viriles et honnêtes populations. C’est surtout l’Autriche qui a porté la peine du mauvais gouvernement laissé à l’arbitraire d’un seul et aux caprices frivoles de ces influences de cour, parasites naturels du pouvoir d’un seul. On vient de voir en Autriche ce qui arrive aux peuples livrés au pouvoir despotique. L’infaillibilité suppo-