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LE DERNIER AMOUR.

par hasard il y a trois ans, et qui vous parut, vous me l’avez dit plus tard, révéler, proclamer et imposer l’amour ? Je l’avais oublié, je n’ai jamais pu le retrouver. Il vient de me revenir à l’église : voulez-vous l’entendre ?

— Non ! lui dis-je vivement, sans trop savoir ce que je disais.

Je me repentis de ma réponse. Si elle n’en pénétra pas le sens, elle le pressentit à sa manière.

— Vous n’aimez plus rien du passé, me dit-elle abattue et comme brisée ; c’est ma faute, je vous le laisse trop oublier.

Je n’oubliais rien, je craignais de retrouver mes souvenirs enlaidis et dénaturés ; mais, voyant que je l’avais affligée, je la priai de réveiller la voix endormie du précieux violon. Elle s’y refusa, disant que j’y mettais de la complaisance, et qu’elle se contenterait de fredonner l’air à demi-voix pour me le rappeler.

Alors elle chanta tout bas, presque dans m.on oreille, et, bien qu’elle n’eût pas de voix et chantât rarement, elle mit tant de charme et d’émotion dans son accent voilé, qu’une larme vint au bord de ma paupière au souvenir de cet air qui m’avait pour ainsi dire ouvert le cœur et l’esprit à l’amour la première fois qu’elle me l’avait fait entendre. Je me rappelai les circonstances où cette magie s’était emparée de moi, je revis le paysage où j’étais, la mâle et douce figure de Jean m’apparut et me sourit. Un souffle printanier glissa dans ma chevelure, et je me sentis tout jeune, comme à l’instant où cette vibration magnétique du violon de Tonino Monti avait embrasé l’air que je respirais. Je crus au miracle, comme un homme qui a déjà senti la transformation miraculeuse et qui n’en croit pas le retour impossible. Félicie s’était remise à genoux près de moi en chantant ; j’oubliai le spectre, j’étreignis la femme, je crus étreindre l’amour.

Mais ce n’était que le rêve, l’amour physique qui fait sentir plus odieusement l’absence de l’amour moral. Le réveil fut affreux, car l’ivresse trompeuse m’arracha des sanglots, et Félicie comprit enfin que je savais tout !

Elle feignit de croire à une excitation nerveuse, et me laissa seul sans m’interroger. Moi j’étais trop troublé pour m’apercevoir de sa découverte ; j’étais certain de n’avoir pas laissé échapper un mot qui trahît mon désespoir ; j’étais brisé, mais je n’avais pas été lâche. Je n’avais pas insulté la femme qui me brisait. Qui sait, me disais-je, si cette révolte de ma conscience ne sera pas la dernière ? L’amour a le don du miracle : ne peut-il faire taire l’esprit ?

Mais alors je me représentais Félicie savourant dans les bras de son amant l’ivresse qu’elle venait de goûter dans les miens, et se disant ce que je ne pouvais jamais me dire : Le plaisir est tout l’a-