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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/818

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REVUE DES DEUX MONDES.

pour l’avertir de ma présence, et je lui parlai à travers la porte, encore fermée, pour lui demander si elle était malade. — Non, répondit-elle d’une voix résolue ; entrez si vous voulez !

— Pourquoi ne dormez-vous pas ? lui dis-je en entrant ; il faut que vous souffriez beaucoup, puisqu’en vous retirant vous éprouviez le besoin de dormir.

— Je ne souffre pas, dit-elle, vous le savez bien ; vous avez dû entendre que je faisais de la musique, puisque vous ne vous êtes pas couché.

— J’étais inquiet de vous. Nous nous sommes quittés hier soir comme nous ne nous quittons jamais, vous m’avez froidement retiré votre main, et vous paraissiez irritée. Si je vous ai offensée, sachez que je n’avais pas, que je n’ai jamais eu d’intention cruelle envers vous. Je vous le jure, ne me croyez-vous pas ?

— Sylvestre ! s’écria-t-elle d’une voix sourde et âpre, vous pouvez jurer tout ce qu’il vous plaira, je ne vous croirai plus. Vous me haïssez au point que tantôt vous avez voulu vous ôter la vie. Montrez-moi votre poitrine ! Ah ! vous voyez que vous ne le voulez pas ! Eh bien ! je ne sais pas si vous êtes profondément ou légèrement blessé. Je crois que ce n’est pas dangereux, puisque vous voilà ; mais ce qui est sérieux, c’est le chagrin qu’il faut avoir pour se déchirer comme vous l’avez fait. Tenez ! je viens de brûler votre chemise que vous aviez ôtée en rentrant et jetée dans un coin de votre chambre sans vous soucier de ce que nos servantes penseraient de ces effroyables taches de sang. Le hasard m’a fait trouver cela, et je suis tombée comme morte, ne comprenant pas, croyant d’abord que quelqu’un avait tenté de vous assassiner. En revenant à moi, je me suis retracé votre désespoir de ce matin. Vous aviez cédé à mes caresses, à un reste d’amour, à un désir d’homme qui vit seul et triste depuis longtemps, et puis tout de suite l’horreur de moi vous est revenue, et, comme une espèce de saint ou une espèce de fou que vous êtes, vous vous êtes martyrisé la poitrine pour punir le cœur qu’elle contient d’avoir battu pour moi un instant ! Vous voyez bien que je suis un monstre à vos yeux, et que vous feriez mieux de m’abandonner et de me fuir, ou de m’accabler de coups et d’injures que de me laisser voir et deviner le mal que’ je vous fais en vivant près de vous. Voyons, laissez-moi partir. Je ne peux plus rester ici, je serais méprisée de tous, car votre chagrin saute aux yeux. Tout le monde me demande pourquoi vous êtes si changé et tout à coup si vieilli. Vous ne vous apercevez pas que depuis deux mois vos cheveux sont devenus tout gris ? El cette chemise déchirée et sanglante que j’ai fait disparaître, comment eût-on expliqué cela ? Croyez-vous que le départ de Tonino