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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/830

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Un mot encore. Vous êtes exalté, mais vous êtes sincère. Après avoir reçu les derniers embrassemens de cette femme que vous n’estimiez pas, que vous êtes-vous dit l’un à l’autre ? L’avez-vous bénie du bonheur qu’elle venait de vous donner ? Vous a-t-elle promis d’avoir confiance en vous ? Vous êtes-vous quittés, elle touchée de votre amour, vous fier de vous-même ? Y a-t-il eu dans vos âmes un moment, un seul moment d’oubli du passé et d’espoir de réconciliation dans l’avenir ?

— Non ! nous avions tous deux de la rage, de la honte et de la haine. Je lui ai dit : Va-t’en, ne me parle pas ! Je te jetterais dans le torrent.

— Et elle alors ?

— Alors elle, se cachant la figure avec ses mains, elle s’est enfuie sans se retourner.

— Et depuis vous avez pourtant demandé à la revoir ?

— Pour l’assassiner, oui, c’était devenu mon idée fixe.

— Eh bien ! Sixte, voilà l’effet de l’amour qui survit à l’estime, et voilà pourquoi je n’ai pas voulu, je n’ai pas dû redevenir l’amant de ma femme. Allez-vous-en. Ne profanez pas sa tombe par vos adieux. Vous n’avez pas le droit de prier pour elle. Je vous défends d’approcher de la terre où elle repose. Je vous défends aussi de vous venger de Tonino. Je ne puis punir ni lui ni vous, sans attenter à la mémoire de Félicie dans l’estime publique. C’est la seule chose qui lui reste. Que ses secrets soient morts avec elle. Au nom du Dieu clément qui a repris son âme et dont nous ne connaissons pas les desseins sur elle, je vous commande de laisser vivre Tonino. Félicie n’appartient plus ni à lui, ni à vous, ni à moi.

Sixte baissa la tête et se retira en silence. Je ne l’ai jamais revu.

Je voulus encore absoudre celle dont je venais d’apprendre un nouvel égarement. J’allai cueillir une poignée de fleurs dans le pré voisin, et je retournai les répandre sur sa fosse en lui disant : « Oublie ma blessure et que Dieu guérisse la tienne ! »

Le lendemain, je vécus comme dans un rêve, presque sans conscience de ce qui se passait autour de moi. On me demandait des ordres, et je ne comprenais pas de quoi il s’agissait. Enfin je fis un effort pour secouer cette torpeur. Je donnai toutes les clés et la gouverne de toutes choses au plus ancien et au plus honnête de nos serviteurs, après quoi, ne prenant avec moi que quelques hardes nécessaires et mes papiers personnels, j’allai attendre chez le docteur le droit de m’en aller, sans que mon départ ressemblât à une fuite.

Trois jours après, Tonino arriva. Il n’osa demander à me voir, et pourtant, dès qu’il se vit maître des biens dont il avait peut-être