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mager la réalité essentielle. » Conséquemment à tout ceci, M. Comte met les penseurs en garde contre un trop sévère examen de la vérité des lois scientifiques, et frappe « d’une sévère réprobation » ceux qui détruisent « par une investigation trop minutieuse » des généralisations déjà obtenues, sans être capables d’en substituer d’autres. « 


J’ajouterai que M. Comte, qui condamne les investigations trop minutieuses à l’encontre des généralisations déjà obtenues, a condamné aussi l’astronomie stellaire, inutile, suivant lui, à nos besoins théoriques et pratiques qui sont renfermés dans l’enceinte de notre système solaire; condamnation dont, au nom de la philosophie, j’ai appelé il y a longtemps. M. Mill attribue de telles propositions à ce que M. Comte était peu soucieux du critérium logique de la preuve, comme si, indépendamment du cas de l’astronomie stellaire auquel ce reproche est inapplicable, comme si, dis-je, M. Comte avait eu besoin du moindre critérium pour apprécier l’irrégularité de telles conceptions, et comme s’il avait été aveuglé en ceci par quelque illusion de raisonnement! Mais de propos délibéré il faisait céder la rigueur de la réalité à une fausse utilité, jugeant plus avantageux de s’accommoder à certains penchans et plaisirs de l’intelligence que de poursuivre rigoureusement la correspondance entre la conception et le fait. Quel que soit le motif du reste, la philosophie positive doit repousser ces accommodations. Il n’est pas bon de prendre pour suffisantes des conceptions sciemment hypothétiques, il n’est pas bon de respecter des généralisations que la critique entame et défait, il n’est pas bon enfin d’interdire les recherches qui plongent dans l’infinité de l’espace. A cela, le péril serait double, soit que scientifiquement on s’exposât à étouffer la connaissance de faits dont la portée logique ne peut être estimée, soit que philosophiquement on ouvrît la porte à je ne sais quelle théologie ou métaphysique bâtarde.

Si je ne puis accepter de la main de M. Comte un pareil arbitraire dans le maniement de la science, je ne puis accepter de la main de M. Mill les accommodations qu’il suppose possibles entre la philosophie positive et le point de vue théologique. Je traduis le passage.


« Il est convenable de commencer par décharger la doctrine positive d’un préjugé que l’opinion religieuse a contre elle. La doctrine condamne toutes les explications théologiques et les remplace ou pense qu’elles sont destinées à être remplacées par des théories qui ne tiennent compte que d’un ordre reconnu de phénomènes. On en infère que, si ce remplacement était accompli, le genre humain cesserait de rapporter la constitution de la nature à une volonté intelligente, et de croire aucunement en un créateur et suprême gouverneur du monde. La supposition est d’autant plus naturelle que M. Comte était ouvertement de cette opinion. A la vérité, il re-