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été grande ni par l’esprit ni par le cœur, une courtisane dans toutes les acceptions du mot, dont le succès a été la victoire de la flatterie et du sensualisme, une femme qui n’a jamais conseillé à son royal amant une action généreuse ou un acte de clémence. Ce n’est pas assez pour Diane de prétendre racheter la faute de l’adultère par les persécutions religieuses que le fanatisme de l’époque représente comme des actes méritoires ; ambitieuse et cupide, elle épuise le trésor, et les merveilles d’art qu’elle fait naître sont le fruit d’impôts vexatoires ou de cruelles confiscations. Elle trône en paix dans le scandale, au milieu de ces péchés d’abondance dont parle Bossuet, qui sont superbes et audacieux, qui recherchent la lumière et veulent jouir de toute la conscience du ciel. Jeune fille, à l’âge des rêves d’amour, elle avait épousé un mari vieux et laid, on dit même bossu; mais c’était un grand-sénéchal. Veuve, elle affichait pour la mémoire de ce mari d’hypocrites regrets qui mettaient à un prix plus haut ses infidélités à l’ombre conjugale. Maîtresse d’un prince qui avait dix-huit ans de moins qu’elle, elle se servait de son expérience consommée pour tenir sous le joug sa conquête. Cette destinée n’a rien de noble. Dans ce cœur sec, froid, calculateur, on chercherait en vain ces luttes entre la passion et le devoir, ces remords et ce mécontentement de soi-même qui, pour la femme coupable, sont comme une moitié d’innocence. Quoi qu’on ait pu dire, Diane n’inspire au roi aucun sentiment digne d’un souverain. Elle le pousse dans la voie du fanatisme. Elle grandit outre mesure cette ambitieuse maison de Guise, qui sera si funeste à la race des Valois. Elle entoure le souverain d’une coterie qui se jette sur la France comme sur une proie. Sans doute elle protège les artistes, elle fait de brillantes commandes aux peintres et aux architectes; mais ce n’est pas la châtelaine d’Anet et de Chenonceaux qui a créé le mouvement de la renaissance. Elle n’a point ressuscité les mœurs chevaleresques, et bien que le règne de Henri II commence par un duel judiciaire et se termine par un tournoi où le monarque est tué d’un éclat de lance, la poésie du moyen âge n’est déjà plus à cette époque qu’une parade, une ostentation. Le langage de la chevalerie est encore dans sa fleur; mais l’esprit moderne commence à se faire jour, et l’Amadis de Gaule va devenir une vieillerie.

Lorsque François Ier et Charles-Quint se défient en combat singulier, lorsque les hérauts d’armes porteurs des cartels traversent la France et l’Espagne, le blason sur la poitrine, le gonfalon à la main, quand le roi Henri II félicite Jarnac, vainqueur de La Châtaigneraie, d’avoir « combattu comme César et parlé comme Aristote, » ces réminiscences du passé font sourire. Ce sont les derniers vestiges des mœurs qui s’effacent. On ne croit plus aux amours platoniques, aux aventures idéales. François Ier lui-même protège Rabelais, dont le bon sens fait justice de toutes ces exagérations qu’il relègue dans son île des lanternes. En vain essaie-t-on de parodier l’époque de Charlemagne; on est bien loin de la chanson de Roland! Fran-