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point de vue militaire. Plus sa position personnelle serait élevée, plus il deviendrait évident aux yeux de tous que l’on s’engageait sans réserve. On pensa alors au comte d’Eu, qui depuis le commencement de la guerre sollicitait avec instance d’être envoyé au Paraguay, mais qui n’avait encore participé qu’aux opérations de 1865 sur le Parana. Le Brésil étant un pays où le régime parlementaire et constitutionnel est très sincèrement pratiqué, le jeune prince avait dû se résigner, tout gendre qu’il fût de l’empereur dom Pedro, aux volontés des ministres. Nous ne savons d’où venaient les résistances qu’il rencontrait, mais nous pensons qu’il est permis de les attribuer au libéralisme franchement accusé de ses opinions politiques et à la netteté avec laquelle il avait manifesté ses sentimens abolitionistes en matière d’esclavage. C’était une manière de voir qui ne devait pas le mettre tout à fait en grâce auprès des ministres du jour. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on eut besoin de lui, on le trouva prêt.

Le comte d’Eu (Gaston d’Orléans), fils aîné de M. le duc de Nemours, a aujourd’hui vingt-huit ans. Il a fait son éducation militaire à l’école d’artillerie de Ségovie en Espagne, et au sortir de l’école il obtint d’être attaché à l’état-major du maréchal O’Donnell, qui commandait alors l’armée espagnole au Maroc. Le jeune prince fit cette campagne avec beaucoup de distinction. Le jour même où il avait rejoint pour la première fois le quartier-général, il avait été décoré pour action d’éclat accomplie sur le champ de bataille. En 1864, il avait épousé sa cousine, la princesse impériale Isabelle, fille aînée de l’empereur dom Pedro II, et héritière de la couronne du Brésil.

Nommé le 22 mars 1869 général en chef de l’armée brésilienne au Paraguay, mais sans pouvoirs pour participer à l’administration du pays, qui était confiée au conseiller d’état Paranhos, le comte d’Eu se hâta de partir. Le 14 avril suivant, il était rendu à l’Assomption. L’état dans lequel il trouva les affaires n’était pas des plus encourageans. Pendant la saison chaude que l’on venait de traverser, les maladies avaient fait de cruels ravages dans l’armée, et de plus, en voyant partir le maréchal Caxias suivi de plusieurs des généraux les plus marquans, bon nombre d’officiers et même de soldats avaient cru pouvoir se permettre d’imiter l’exemple de leurs chefs. L’effectif était par suite descendu fort au-dessous de 25,000 hommes, les malades compris. Autre conséquence non moins naturelle, l’autorité ayant été fort ébranlée par le départ imprévu de ceux qui étaient plus particulièrement chargés de l’exercer, la discipline, qui n’avait pas toujours été la qualité la plus brillante de ces jeunes troupes, s’en était ressentie. De même les admi-