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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/1034

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février 1870.

Encore une fois, Paris a donc eu ses effervescences nocturnes et ses tumultes de rues, comme un irritant et maussade intermède dans l’évolution libérale qui s’accomplit. Pendant quelques soirées, au fond d’un faubourg de la grande ville, on a bataillé, on a crié surtout, on a culbuté quelques voitures, et on s’est essayé aux barricades. Ne fallait-il pas tenter une petite révolution pour empêcher ou pour célébrer l’entrée en prison de M. Henri Rochefort après sa condamnation récente ? La révolution n’a pas même été une émeute. Les coureurs de rues et de réunions publiques croyaient peut-être qu’on n’oserait pas braver les menaces de leur colère, que la loi serait obligée de s’incliner devant leur majesté ; on a osé, et tout est dit.

Assurément, par certains côtés, cette échauffourée, qui n’a pas même été un mouvement populaire, est profondément triste ; la France est mise depuis quelque temps à un singulier régime. Au moment où l’absolutisme d’un seul cède devant la raison publique, il reparaît à une extrémité opposée sous une autre forme. On ne veut pas de l’omnipotence des Tuileries ; mais on veut fonder l’autocratie de Belleville ou de La Villette. Tout doit manifestement plier devant la volonté de ceux qui se disent le peuple. Quant à la France elle-même, on s’en inquiète fort peu. Elle subira le joug si elle veut, et si elle résiste, on verra bien. En attendant, voilà le fait : il suffit de quelques têtes échauffées ameutant une bande sans nom pour avoir l’air de tenir tout en suspens, pour paralyser les intérêts d’une population entière et semer une indéfinissable anxiété qui grossit en se propageant. On finit par croire Paris en révolution, la province se trouble ou s’irrite, et au dehors on s’accoutume peut-être à l’idée qu’en certains momens l’action de la France pourrait se trouver subitement énervée. Ce sont de grands patriotes que les émeutiers. Tout cela ne laisse pas d’être amèrement triste, nous en con-