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aurait fallu que les princes temporels et spirituels fussent moins dominés eux-mêmes par les superstitions qu’ils voulaient combattre. Si quelques papes habiles purent faire entrer dans les plans de leur politique une certaine tolérance pour des coutumes et des erreurs qui semblaient indéracinables, la grande majorité des évêques et des missionnaires crurent fermement qu’ils combattaient le diable et sa séquelle en s’efforçant d’extirper le polythéisme ; ils inoculèrent la même croyance à leurs convertis et prolongèrent par là bien longtemps l’existence des divinités païennes. Les bons vieux esprits de la nature champêtre eurent surtout la vie dure. La légende sacrée en recueillit beaucoup, et la mythologie comparée reconnaît un grand nombre d’anciens dieux celtes et germains dans les patrons vénérés par nos ancêtres. Bien longtemps, et sans que cela fût regardé comme une renonciation à la foi catholique, il y eut en Angleterre, en France, en Allemagne, des offrandes présentées, soit par la reconnaissance, soit par la crainte, aux esprits des champs et des forêts ; les femmes surtout se montrèrent tenaces dans leurs vieilles habitudes. Comme pourtant l’église ne cessait d’appeler démons et diables tous les êtres surhumains qui n’étaient pas saints ou anges, et que le caractère des anciens dieux n’avait après tout rien d’angélique, il s’opéra un dédoublement. Le royaume des saints s’enrichit de leurs bons côtés sous des noms nouveaux, le royaume des démons eut le reste. La croyance au diable, qui, dans les premiers siècles, avait encore quelque chose d’élevé, devint décidément grossière et stupide. C’est au commencement du moyen âge que l’on se mit à regarder certains animaux, tels que le chat, le crapaud, le rat, la souris, le chien noir, le loup, comme servant, de préférence à tous les autres, de symboles, d’auxiliaires et même de forme momentanée au diable et à ses serviteurs. On a vu de nos jours qu’ordinairement ces animaux étaient consacrés ou sacrifiés aux divinités dont les démons avaient pris la place. Des souvenirs de sacrifices humains célébrés en l’honneur des anciens dieux doivent être à la base de l’idée que Satan et ses esclaves sont friands de chair humaine. Le loup-garou, l’homme-loup qui dévore les enfans, a été successivement un dieu, un diable et un sorcier allant au sabbat sous forme de loup pour ne pas être reconnu. Nous savons tous qu’il n’y eut jamais de sorcière sans chat. Une plaie trop fréquente au sein de populations dénuées de toute habitude de propreté, la vermine, fut aussi depuis lors mise sur le compte du diable et de ses serviteurs. C’est aussi vers le même temps que la forme corporelle du diable devient quelque chose d’arrêté : c’est celle des anciens faunes et satyres, le front cornu, la bouche lippue, la peau velue, une queue, le pied fourchu du bouc ou le sabot du cheval.