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acteurs des saintes représentations ; mais on ne pouvait passer sa vie à écouter les mystères, et les réalités quotidiennes ne tardaient pas à lui rendre tout son prestige. Naturellement le nombre des individus soupçonnés d’un commerce quelconque avec Satan devait être énorme. C’était la première idée qui vînt à l’esprit de quiconque ne savait comment expliquer le succès d’un adversaire ou la réussite d’une entreprise audacieuse. Enguerrand de Marigny, les templiers, notre pauvre Jeanne Darc, bien d’autres illustres victimes des haines politiques, furent convaincus de sorcellerie. Des papes eux-mêmes, tels que Jean XXII, Grégoire VII, Clément V, encoururent le même soupçon. A la même époque, on voit paraître l’idée que les pactes conclus avec le diable sont signés du sang du sorcier, afin qu’il soit bien stipulé que sa personne, sa vie entière appartient désormais au maître infernal. En même temps ressuscite une vieille superstition italienne qui consiste à faire périr ceux que l’on hait en mutilant ou en perçant des figurines de cire ensorcelées, faites à l’image de la personne désignée. Il y eut des conciles tout exprès pour sévir contre la sorcellerie que l’on croyait répandue partout. Le pape Jean XXII, accusé lui-même de sorcellerie, énonce dans une bulle de l’an 1317 la douleur amère que lui causent les pactes conclus avec le démon par ses médecins et ses courtisans, qui entraînent d’autres hommes dans le même commerce impie. A partir du XIIIe siècle, on poursuivit le crime de sorcellerie à l’égal des plus grands forfaits, et l’ignorance populaire ne fut que trop disposée à fournir des alimens au zèle des inquisiteurs. Toulouse vit brûler la première sorcière, Angela de Labarète, dame noble, âgée de cinquante-six ans, qui fit partie en cette qualité spéciale du grand auto-da-fé qui eut lieu dans cette ville en 1275. A Carcassonne, de 1320 à 1350, on signale plus de quatre cents exécutions pour crime de sorcellerie. Cependant ces sanglantes horreurs avaient encore au XIVe siècle un caractère local ; mais en 1484 un acte du pape Innocent VIII étendit à la chrétienté tout entière cette terrible procédure. Alors commença par toute l’Europe catholique la lugubre chasse aux sorciers qui marque le paroxysme de la croyance au diable, qui la concentre et la condense pendant plus de trois siècles, et qui, succombant à la fin sous la réprobation de la conscience moderne, devait emporter avec elle la foi dont elle était issue.


III

Au XV° siècle, une détente momentanée du fanatisme orthodoxe rendait la tâche des inquisiteurs assez difficile en ce qui concernait l’hérésie proprement dite. Il semble qu’aux bords du Rhin comme