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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/369

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que rien ne le préparait pour être un chef de secte, un schismatique, l’auteur d’une sorte de révolution religieuse. Il fut cependant tout cela ; son éducation chrétienne n’avait pas été froidement paisible. Les spectacles d’indifférence et de dissipation qu’il avait vus à l’université l’avaient surpris et troublé. Retenu dans la foi générale à l’Évangile par les leçons de son père et surtout par les exhortations ardentes de sa mère, il avait éprouvé des doutes théologiques ; ainsi il avait cessé de s’attacher distinctement au grand dogme des protestans, la justification par la foi et par la foi seulement. La lecture de l’Imitation de Jésus-Christ et les écrits d’un enthousiaste éloquent, William Law[1], le portèrent à la mysticité ; mais une piété pratique réglait sa vie et le préservait des écarts d’une exaltation rêveuse. Il semblait fait pour penser comme Marie et agir comme Marthe.

Son père le rappela bientôt auprès de lui comme suffragant, mais il ne put le retenir ; las de la routine d’une fonction subordonnée, le jeune ministre voulut retourner à l’université, où il trouvait plus d’indépendance. Son frère Charles, qui y était entré cinq ans après lui, et qui le dépassait par son enthousiasme, avait formé avec quelques amis une association pieuse qu’on appelait le club de Dieu (godely club), et dont les membres se proposaient leur perfectionnement spirituel en se soumettant à certaines règles fixes, à une méthode de sainteté qui les fit appeler méthodistes. Ce nom précéda le moment où John se réunit à eux, et devint naturellement leur chef par l’autorité du conseil et de l’exemple. Il était d’instinct organisateur et dominateur. Il anima de son esprit cette réunion de saints, lui prescrivit certaines austérités, la visite des pauvres, l’usage du sacrement. C’était, dit son biographe orthodoxe, avoir le tort de confondre la sanctification avec la justification, et oublier que les bonnes œuvres, qui peuvent servir à compléter la première, sont tout à fait inutiles pour obtenir la seconde, par laquelle tout doit commencer.

Wesley éprouvait cependant un vague besoin d’étendre le cercle de son activité ; il avait refusé la succession pastorale de son père qui venait de mourir. « Le monde est ma paroisse, » devait-il dire un jour. Le général Oglethorp avait obtenu la concession d’un démembrement encore inhabité du territoire de la Caroline. C’est la région comprise entre la Savannah et I’Altamaha, qui fut nommée la Géorgie. On proposa à Wesley de partir avec les premiers colons, comme

  1. Né en 1686, mort en 1761, il fut le précepteur de Gibbon. Il a écrit des livres de dévotion devenus populaires Il avait quitté l’université en 1716 pour refus du serment d’adhésion à la maison de Hanovre. Il ne faut pas le confondre avec William Law, évêque de Carlysle, éditeur des œuvres de Locke, et métaphysicien distingué.