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plus que dans le midi, encore y est-elle menacée de plus en plus ; c’est en Toscane qu’elle montre le plus de vitalité. Diverses causes propres au développement de ce pays, ont contribué à l’y maintenir. Pendant lis derniers siècles du moyen âge, la Toscane acquit par son industrie, son commerce et ses arts un degré inouï de prospérité. Les richesses s’accumulèrent dans les mains des citoyens de Florence, de Pise, de Lucques, de Sienne, d’Arezzo et de beaucoup d’autres villes encore. Toutes ces cités splendides et populeuses firent au territoire qui les entourait la demande de beaucoup d’articles raffinés, que l’Europe produisait alors en très petite quantité. Les collines et les vallées se couvrirent des cultures les plus délicates et les plus variées ; la campagne se transforma en un jardin planté d’oliviers, de mûriers ou de vignes. Dans de pareilles circonstances, le fermage et la grande culture n’avaient aucune raison de naître. Les exploitations réduites conviennent à ces productions coûteuses, qui réclament des soins perpétuels et minutieux. L’association de l’agriculteur et du propriétaire, le partage égal des fruits, étaient une condition du succès. Il eût été à craindre qu’un fermier ne surchargeât les vignes pour leur faire produire le plus possible pendant son bail, ou que des journaliers n’apportassent pas à leur tâche, toute l’exactitude et tous les ménagemens nécessaires. Il y avait une autre cause aussi qui s’opposait à l’introduction du fermage en Toscane : c’est que ces produits raffinés, le vin, les olives, les feuilles de mûrier, sont d’une sensibilité capricieuse qui semble défier toute prévoyance, et qui pourrait conduire à la ruine même le fermier le plus capable et le plus prudent. « Dans le nord, dit M. de Gasparin, la régularité des résultats a fait naître l’exploitation connue sous le nom de fermage. Dans le midi, le fermage est plus difficile, parce qu’il faut au fermier une grande prévoyance pour compenser par les bonnes années le déficit des mauvaises, ainsi qu’un capital assez fort pour résister à un revers survenu au commencement du bail. Dans la région des céréales, le nombre des intempéries est borné, l’ordre des assolemens peut être régulier. De là cette agriculture à formules, qui plaît tant à l’esprit par son ordre immuable et par la presque certitude de ses résultats. L’esprit le plus ordinaire y suffit pour diriger une ferme. Ici au contraire, l’irrégularité des saisons exige de la part du cultivateur une attention toujours éveillée pour réparer les intempéries… La règle serait sa perte, c’est une irrégularité d’accord avec celle de la nature qui le sauvera. » Ce qui est vrai du midi en général l’est surtout de ces vallées et de ces collines de Toscane, où toutes les productions raffinées et précieuses semblent s’être donné rendez-vous. Nulle part ne fut plus nécessaire l’intervention constante du propriétaire.