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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


teint son paroxysme que le médecin quitte son malade ; alors au contraire il déploie les ressources suprêmes de son art et invoque l’assistance des autres… » Et comme c’était surtout leur détresse et leur dénûment que les imposteurs, comme il les appelle, faisaient sentir aux moines pour les décourager, il leur donne cette assurance qu’ils ne manqueront jamais de rien, « Si moi, environné comme je le suis de tribulations et d’épreuves, relégué dans le plus sauvage des déserts, j’ai l’œil sur vous et vous tiens abondamment pourvus de tout ce que vos nécessités exigent, pourquoi craindre comme vous le faites et laisser défaillir vos âmes ? Courage, encore une fois ; remettez-vous à l’œuvre. Le bienheureux Paul, plongé dans un cachot, déchiré par les fouets, ruisselant de sang, chargé d’entraves, remplissait au milieu des souffrances sa mission mystérieuse, il baptisait son geôlier. »

Ces éloquentes objurgations eurent leur effet : la guerre sainte recommença avec acharnement ; mais la résistance ne fut pas moins acharnée. Les païens, secondés par la mauvaise volonté des ennemis de Chrysostome, s’organisèrent par bandes, et les moines furent traqués de toutes parts, beaucoup furent tués ; mais ils revenaient sans cesse à la charge, et Chrysostome continuait à leur envoyer, du fond de l’Arménie, de courageuses recrues. Dans le nombre fut un prêtre nommé Rufin, qu’il découvrit dans on ne sait quel couvent de ces provinces sauvages, ce prêtre avait un cœur intrépide, fait pour briller doublement dans la milice du Seigneur. « J’apprends, lui écrivit-il, que la Phénicie est de nouveau à feu et à sang ; cours-y au plus vite ; c’est quand on voit le feu gagner sa maison que l’on comprend le mieux l’imminence du péril. » Rufin se mit en route avec de nombreux compagnons levés sur son passage. Tant d’efforts persévérans eurent leur récompense : les chrétiens reprirent le dessus et réussirent à élever quelques églises, points de ralliement de leur armée et sanctuaires de leur culte ; pour imprimer à la population convertie un nouvel élan, on voulut les consacrer par des reliques de martyrs. Rufin en demanda à Chrysostome. « Il y en a, répondit celui-ci, beaucoup et d’incontestables dans la ville d’Arabissus, près d’ici ; l’évêque m’en donnera, » et il lui envoya à cet effet le prêtre Terentius, un de ses acolytes. L’évêque d’Arabissus, Otreïus, dont nous aurons à reparler plus tard, était un bon et simple prêtre pour qui Chrysostome était un oracle. Il lui donna ce qu’il voulut. Des messagers dévoués portèrent le saint fardeau à travers le Taurus, et, ce qui était plus difficile, à travers les provinces livrées au schisme. Ils le déposèrent en Phénicie, La présence de ces restes vénérables produisit l’effet désiré ; l’enthousiasme rendit les chrétiens invincibles, et la conquête commença de se consolider. Il fallut pourtant bien des années encore pour