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Russie; de son côté, la Russie, dans les provinces baltiques, ne ménage guère les intérêts et les privilèges des Allemands. Le tsar actuel se montre bienveillant, il est vrai ; mais en sera-t-il de même de son successeur? On dit qu’il n’a pas de goût pour les hommes de Berlin. Conclusion : il faut prévoir l’avenir et garder contre la Russie le plus de forteresses qu’on pourra vers la Baltique. — Ce que dit aussi la Prusse, ce qui est plus sûrement encore le fond de sa pensée, c’est que l’Allemagne du sud, à laquelle une secrète ambition commande de plaire, serait fort irritée, si M. de Bismarck cédait au Danemark quelque parcelle du territoire conquis. Que la réserve du traité de Prague soit l’œuvre de la France, ce n’est qu’une raison de plus, pense-t-on à Berlin, pour que le sud de l’Allemagne refuse absolument toute concession. On se trompe peut-être en pensant ainsi; peut-être, si M. le duc d’Augustenbourg fût devenu, suivant le vœu de l’Allemagne, maître des duchés, aurait-il négocié plus facilement que M., de Bismarck. Or ce sont précisément ces sentimens da la Prusse, cette conviction de la faiblesse excessive du Danemark, derrière lequel se cacherait la Russie, cette crainte de déplaire à l’Allemagne du sud, qu’on voudrait enchaîner par de certains bienfaits, c’est tout cela que nous redoutons pour l’Europe. En voulant gagner des suffrages au sud du Mein, la Prusse renonce à modérer certaines ardeurs d’un patriotisme exagéré, et si le Danemark est si faible, il faut se hâter, dans l’intérêt commun, de lui rendre quelque force.

A vrai dire, ceux qui ne voient pas quelle menace immédiate l’inexécution de l’article 5 fait peser sur le Danemark sont, croyons-nous, bien aveugles. C’est évidemment à lui que seraient indispensables les forteresses d’Als et de Dybböl, pour lui constituer une frontière, uns tête de pont en face de l’Allemagne. Tant que les lambeaux danois du Slesvig resteront sous la domination germanique, le Danemark mutilé n’aura nulle défense contre les agressions, et avec lui sera violenté, insulté, avili, ce principe des nationalités au nom duquel seul la Prusse a fait ses récentes conquêtes. Tant que cette dernière puissance voudra conserver Als et Dybböl, tant qu’elle voudra dénier la ligne de partage qui donnerait satisfaction du moins à l’article 5, elle paraîtra se réserver pour reprendre bientôt sa marche. Ce système de germanisation que nous voyons s’accomplir en ce moment, sous nos yeux, dans le Slesvig septentrional, qu’est-ce autre chose que l’envahissement progressif qui s’est accompli à diverses époques dans les autres parties de ce duché? Le système a pleinement réussi. Quelle que soit aujourd’hui la résistance des populations danoises qu’on livre à l’Allemagne, si elles continuent à être abandonnées à elles-mêmes, le temps et la Prusse en auront