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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/690

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l’idée que se faisait Cuvier, il devrait être en général peu doué du côté de l’intelligence. Nous allons voir tout à l’heure que c’est le contraire qui est vrai.

Cuvier du reste connaissait assez mal les insectes, qu’il avait rejetés dans sa classification au-dessous des mollusques. On ne saurait adresser le même reproche à M. Émile Blanchard, qui professe au Jardin des Plantes l’histoire naturelle des animaux articulés. Nous regrettons vivement que, dans son récent ouvrage sur les Métamorphoses, mœurs et instincts des insectes, il n’ait point jugé à propos, comme semblait l’y inviter un pareil titre, de s’arrêter quelque peu sur ce double sujet de l’instinct et de l’intelligence, qui ne pouvait pas perdre à être précisé. M. Blanchard, par ses études habituelles, par la direction de ses travaux, était plus en état que personne de combler dans son œuvre une lacune qu’il faut croire volontaire. Le savant professeur du Muséum procède de Cuvier : comme lui, comme M. Flourens dans son dernier ouvrage (Psychologie comparée, 1865), M. Blanchard distingue l’instinct de l’intelligence ; mais il s’arrête là. Il ne cherche nulle part à mesurer l’influence réciproque de ces deux ordres de facultés dans les actes si compliqués de la vie des insectes ; surtout il s’abstient de l’étude si intéressante de leur intelligence. « Les individus d’une même espèce, dit-il, exécutent toujours les mêmes travaux sans avoir rien appris ; l’instinct seul les dirige. » Cependant à côté de cet instinct il y a, de l’aveu même de M. Blanchard, des facultés intellectuelles dont l’étude, en présence de ces facultés instinctives, sera plus difficile, mais n’en sera que plus digne d’attention. Comment les unes et les autres se combinent-elles ? Si le moucheron n’avait que les instincts qui le poussent, il serait déjà bien attachant ; combien l’intérêt augmente, s’ils sont doublés dans ce petit corps d’une réflexion qui analyse les sensations, d’une volonté qui décile les mouvemens ! Quel spectacle vont nous offrir ces facultés intellectuelles au service d’un instinct si parfait ! N’est-ce pas là où l’instinct est le plus développé qu’il devient le plus indispensable de les mesurer ? Si nous allions trouver, contrairement à l’opinion de Cuvier, que l’instinct, loin d’être en raison inverse du degré d’intelligence, est au contraire d’autant plus grand que cette intelligence est plus active ?

C’est en effet ce qui arrive, et c’est un premier point qu’il importe de bien dégager dans l’étude de l’instinct. L’infériorité instinctive de l’homme n’est peut-être qu’apparente, l’éducation ne permettant guère de deviner ce que nous serions sans elle. l’on sait par l’histoire de plusieurs enfans recueillis dans les bois, en particulier parcelle de l’idiot qu’a si bien observé Itard, quels étonnans instincts peut déployer une créature humaine, même absolument inintelligente, quand elle est abandonnée à elle-même. De tous