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ment d’un drame; une composition peut être! dramatique, simplement parce qu’elle suppose des discours ou des dialogues qu’elle reproduit. Alors le poète ne parle plus pour son propre compte. C’est ainsi que M. Swinburne a publié et cru justifier les vers trop ardens qu’il met dans la bouche de Sapho. C’est ainsi qu’un jeune poète de talent, M. Coppée, introduit dans la pièce qui a pour titre Bénédiction un soldat pour raconter un épisode de la guerre d’Espagne. Quand l’écrivain destine ces sortes d’esquisses à représenter une pensée particulière, isolée, elles ne sont qu’un cadre et ne valent que ce que vaut la pensée elle-même. Dans le Tithomus de Tennyson c’est le vieil époux de l’Aurore qui parle; mais il n’est ni un caractère, ni un homme : il personnifie l’idée mélancolique d’une vie trop prolongée. Quand l’esquisse est le sujet même, et qu’il y a sous les paroles un cœur, une âme humaine, un ensemble de sentimens ou de passions comme l’ont fait ou ont essayé de le faire les deux auteurs cités plus haut, le morceau, même sans action, sans événement final, est dramatique.

Plus d’un poète repoussé par le public spécial du théâtre pour cause d’incompatibilité dans le goût se réfugie avec raison dans cette forme littéraire, qui ne le force pas à dénaturer son talent, et ne condamne pas ses œuvres à passer pour des drames refusés. En Angleterre, où le divorce du théâtre et de la littérature semble presque irréconciliable, la poésie a plus souvent recours à ce genre moyen, qui emprunte à l’ode ses libres transports, à l’élégie ses douces larmes, à la satire ses traits enflammés, la personne du poète ne se montrant pas plus que dans la tragédie ou dans la comédie. M. Robert Browning, sans autre soutien, est parvenu à une grande réputation. Vivant en Italie, dans la ville de Dante, de Pétrarque et de Boccace, il a gagné peu à peu l’attention de ses compatriotes, dont il avait grand’peine, étant présent, à s’attirer les bonnes grâces. Ne traitant presque jamais que des sujets italiens, il a enfin trouvé faveur en Angleterre, où l’on connaît l’étranger sans doute, où l’on aime à s’en occuper, mais à la condition de revenir bien vite à la mère-patrie. Il commence à serrer de près l’auteur des Idylles héroïques, le plus parfait, le plus populaire, le plus national des poètes de son pays, celui qui pousse à peine une pointe sur le continent dans un sonnet ou dans quelque autre pièce fugitive, celui qui n’a célébré que des sentimens anglais, qui n’a versifié que des histoires anglaises, qui du haut au bas de l’échelle, dans ses poèmes chevaleresques, amoureux ou rustiques, a toujours chanté la vie anglaise.

Le grand poème que vient de publier M. Robert Browning, l’Anneau et le Livre, nous permet de passer en revue les ouvrages d’un