Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la main de Barye qui ne fut point goûté : non pas qu’il eût mauvaise façon, ni que, comme motif de décoration, on ne le trouvât pas à sa place ; on le trouvait trop rustique, il n’avait aucun air de parenté avec ce qu’on voyait depuis nombre d’années. On se récria fort. Pourquoi aller contre la doctrine, pourquoi déranger les usages ? Ainsi raisonnent les chefs d’école, les dispensateurs des récompenses. Ils forment un cordon sanitaire contre l’esprit de nouveauté. Les récalcitrans deviennent leurs ennemis ; ils persécutent. Faut-il leur en vouloir ? La plupart de nos méchantes actions ne sont que la suite de raisonnemens faux.

M. Barye s’aperçut bientôt du péril qu’il y a pour un artiste isolé à entreprendre la lutte contre une organisation, savante d’ailleurs, qui se maintient par le prestige dont le temps environne l’erreur elle-même, qui garde un mot d’ordre et une hiérarchie. Il devint évident pour lui qu’il ne pouvait guère compter sur la clientèle de l’état, ni sur les travaux que font exécuter les villes, et qui sont d’ordinaire décernés d’avance aux plus dociles. Quelques riches particuliers l’estimeraient sans doute, mais le champ où il pouvait tracer son sillon ne se rétrécissait pas moins devant lui. Il envoya de nouvelles œuvres au Salon, elles furent refusées. Il était jugé sans débats. Point de clarté, point d’appel, le public n’était pas consulté. Il rentra un peu dédaigneusement sous sa tente, attendant que vînt son heure et qu’on le priât d’oublier les erreurs du jury. Il ne passa pas toutefois son temps à récriminer et à rester oisif. Il entassait production sur production, recherche sur recherche, creusant l’antiquité, fouillant la renaissance, qu’il se rendait familière. Son mérite fut apprécié des ducs d’Orléans et de Nemours, du duc de Luynes. Bustes, groupes de terre, de pierre ou de bronze, sortaient de ses mains, et aussi quelques dessins et des aquarelles de haut style.

Il représentait les faunes dans les cavernes, les solitudes, les déserts, ou au milieu de paysages de fantaisie qu’il n’avait entrevus qu’en songe, — car il n’a point voyagé, — et pourtant ces paysages étaient vrais. Il fut inventeur, poète, dans le sens que les Grecs donnaient à ce mot. Cependant cette demi-obscurité lui pesait, non qu’il fût ambitieux ; il se sentait au cœur cette émulation que nul ne doit étouffer, qui ne nous permet pas de laisser en friche les facultés que nous avons, qui nous entraîne à leur faire produire par un labeur obstiné toute la moisson qu’elles doivent porter. Là, en effet, est le devoir de tous envers chacun ; mais que d’inquiétudes, de déceptions, de déboires, d’angoisses même, sans compter le doute, le doute d’eux-mêmes, qui envahit à la longue les plus fermes à telles heures sombres du jour ou de la vie ! Écoutons là--